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Après ses deux pintes, Jules a fini caput et nous avons décidé qu'il serait éjecté de la mezzanine. Il a donc dormi entre la ribambelle de randonneurs allemands tandis que nous nous sommes lovés dans nos cocons sous les toits.

- ZZZZZZ, RRRRRR... ZZZZZZ, RRRRRR...

- Bordel, c'est Jules qui ronfle à en faire trembler les murs ? a fini par s'emporter Katie vers trois heures du matin, alors qu'aucun de nous n'arrivait à se rendormir tant les grondements provenant d'en bas prenaient en amplitude.

- Avec tout ce qu'il a bu, ça ne serait pas étonnant pas, a dit Clémentine d'un rire jaune.

Je me suis redressée en me frottant les yeux.

- Vous voulez que j'aille le secouer ?

Au même moment, le ronflement s'est fait plus intense, imitant avec une précision bluffante le groin du cochon. Nous avons pouffé en cœur.

- Incroyable, celui-là, a ri Mahé en se tenant le ventre.

Un deuxième plus beau encore a failli nous achever.

- Vous pensez qu'il ronfle aussi avec l'accent marseillais ?

- ZZZZZZ, RRRRRR...

On a ri cinq bonnes minutes sans se soucier du bruit que nous faisions. Les ronflements étaient si puissants qu'ils couvraient nos médisances.

- C'est fini ce bordel ? a alors raillé une voix du rez-de-chaussée.

La tête de Jules, dépassant de la trappe de la mezzanine, nous est apparue. Le ronflement a tonné entre nous.

- ZZZZZZ, RRRRRR !

- Mec, si t'es là, qui ronfle ? a pouffé Katie en rampant pour chercher la réponse.

- Pas moi !

Mes joues, déformées par l'hilarité, devenaient douloureuses. J'ai tendu une main vers le blond pour l'aider à se hisser. Il s'est écroulé sur le matelas entre Clem et moi.

- C'est un Allemand, nous a informé Katie en faisant à peine l'effort de chuchoter. Celui avec le gros pif en plus, comme par hasard !

- Eh, on ne critique pas les gros nez, a précisé Clémentine avant que Jules ne vienne la faire taire en tirant son sac de couchage pour se rouler dedans.

- Ça s'entendait clairement que c'était pas un ronflement marseillais, vous faite spas d'efforts !

Katie est revenue sur son matelas et s'est collée à moi. Nous avions l'air d'une bonne brochette prête à rôtir.

- Du coup, ça ne vous dérange pas si je dors là ? s'est enquis Jules.

- Généralement, on demande l'autorisation avant de s'installer, a rouspété Clem sans pour autant le chasser.

Les ronflements allemands ont fini par s'éteindre, ou bien nous nous en sommes habitués. Je ne me souviens plus que de la brutalité avec laquelle la sonnerie du réveil m'a sortie de mon sommeil sans rêve tôt le lendemain. Il n'était pas six heures, le soleil perçait à peine les crêtes de la montagne à l'est. Mahé a coupé l'alarme avant de venir nous secouer tendrement un à un.

Nous avons enfilé nos shorts informes, nos chaussettes hautes et nos sweats, avisé l'état de nos vêtements d'hier que nous avions lavés et faits sécher toute la nuit au-dehors. Ils étaient encore humides, nous les avons pendus aux élastiques de nos sacs pour que le soleil de la journée les réchauffe.

Nous n'avons pas décroché un mot durant le petit-déjeuner, avalant mécaniquement nos tartines de beurre qui semblait avoir été fait du lait des vaches d'ici. Le café dévalant nos gorges n'arrivait à satisfaire nos muscles courbaturés de la veille. J'avais l'impression que nous n'arriverions jamais à lever nos fesses et à gravir les montagnes qui nous attendaient.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant