La nuit était douce, les rues criantes de festivités. Sur les pavés, les bars avaient sorti leurs tablées et les serveurs y slalomaient pour éviter les passants qui se groupaient, curieux de cette agitation qui naissait le jour éteint. Depuis une place, le son d'un Handpan nous est parvenu. Nous l'avons suivi, curieux, jusqu'à débarquer sur cette place circulaire entourée d'immeubles pastel. Sous le ciel sombre, les lampadaires diffusaient leur lumière tamisée sur la fontaine. Le musicien performait seul au-devant. Assis sur un tabouret, il diffusait sa musique aux passants avides de ces vibrations. Ses mains flottaient au-dessus de l'instrument cuivré, créant une mélodie aussi douce que la caresse de la brise qui nous enveloppait. C'était lunaire, captivant. Chaque note vibrait en nous pour nous imprégner. J'ai fermé les yeux pour me laisser voguer, me balançant d'un côté à l'autre au rythme de la musique.
Loris, le cousin d'Albert, nous a ensuite entraînés dans un bar fréquenté par la jeunesse locale. Une sorte de faux repère de pirates à deux rues de la côte dont le DJ assenait de musiques latinos. Nous y sommes entrés, guidés par Albert et Loris qui semblaient connaître le lieu déjà bien rempli. Nos semelles collaient à chacun de nos pas sur le carrelage imbibé du sol, des senteurs d'alcools sucrés et de fumé restaient prisonnières entre les quatre murs.
Ce soir sera mon soir, me suis-je soufflé à moi-même dans l'ombre du bar. J'ai suivi Mahé de près pour ne pas le perdre au milieu de tout ce monde. La chaleur de son dos contre moi m'a enivrée. J'ai glissé mes doigts entre les siens et il m'a entraînée avec lui. Clémentine et Albert sont partis prendre un verre au comptoir, nous nous sommes agglutinés au milieu des danseurs. Mahé s'est mis à se déhancher au rythme de percussions. J'ai essayé de le suivre, gênée de ce public autour de moi qui ne me calculait pourtant pas. Ses yeux noirs dans les miens se sont faits rassurants, il a posé une main sur ma joue et a caressé de son pouce mes cernes maquillés. J'ai basculé ma tête en arrière et ai essayé de lâcher mes mouvements. La musique tout autour n'appelait qu'à la danse. J'ai balancé ma tête, fait rouler mes épaules, mon bassin suivant la musique s'est mis à onduler, mes cheveux contre mes joues se sont mis à sauter. Loris avait retrouvé d'autres amis, Clem et Albert se dévoraient du regard en sirotant leur bière. D'une main j'ai tiré Mahé contre moi pour que d'un pas de deux nous nous laissions porter, rire contre rire, joie contre joie, cœurs de chamade pulsant l'un contre l'autre.
Et puis à un moment sans heure, au milieu de cette folie humaine, au milieu de cette musique qui nous arrachait de la réalité, au milieu de cet alcool qui rendait fous mais que je n'avais pas touché, de ce lâché prise si grand que je ne me rendais même plus compte de mes propres mouvements, il s'est passé quelque chose. J'ai arrêté de penser, à moi et mes mille et un tourments.
Toujours ses yeux dans mes yeux, ou mes yeux dans ses yeux, durant cet instant perdu, ou récupéré en vol, avant que tout explose, Mahé est resté contre moi. C'était comme si nos regards étaient de mèches, comme s'ils essayaient de nous rapprocher. Ils étaient désireux, ils étaient amusés, curieux, fous, fous, fous.
J'ai laissé le temps gagner, j'ai laissé mon corps se coller à lui, aimanté. Je me suis écartée, il s'est approché. Il s'est écarté, je me suis rapprochée. On a continué de danser dans cette folie, sans que jamais je n'aie détourné mes yeux, et jamais il n'ait détourné les siens. C'était comme si je pouvais y trouver mon avenir, notre avenir, dans le regard de ce garçon que j'aimais tant. J'y trouvais une étincelle. Une petite flemme. Un espoir d'un avenir plein de promesses.
— Cléoooo !
On m'a bousculé. Notre regard s'est éclipsé.
J'ai levé ma tête : Clémentine dansait perchée sur le bar, collée à je ne sais pas qui, mais sûrement pas Albert. J'ai plissé les yeux pour identifier la silhouette entre la fumée et les chorégraphies de lumières fluorescences qui s'accaparaient l'atmosphère.
Elle m'appelait, m'incitant à la rejoindre. Entre l'amusement et la détermination, j'ai fait quelques pas vers elle mais, au moment de monter la rejoindre, je me suis stoppée. L'idée d'oser monter sur le bar m'a tétanisée, de danser avec des inconnus avec autant de proximité.
Je me suis retournée pour retrouver Mahé et, à mon étonnement, il était là, juste derrière moi. Ma main était toujours accrochée à la sienne. Je crois que j'avais besoin de cette proximité, de ressentir un corps proche de mon corps, de ressentir les ondes d'une autre personne se mêler à mes propres ondes si solitaires. Cette main pressée contre ma main, c'était une sensation forte, un simple geste qui me reconnectait. Nous n'étions pas seuls, il y avait tant de monde, dans ce bar, dans cette ville, dans ce monde trop grand pour mon petit corps, pas encore adulte, plus vraiment enfant. Mais nous étions tous comme ça. Je le sentais, juste là, respirant encore nos mains enlacées. Il n'y aurait peut-être rien, entre Mahé et moi, et il n'y aurait peut-être pas l'avenir amoureux que je souhaitais tant finalement. Mais nos doigts sont quand même restés entremêlés. Je l'ai tiré au milieu de la piste de danse, oubliant un instant Clémentine qu'Albert avait fait descendre.
Et on a dansé.
Ses pupilles qui chuchotaient des mots doux, son corps étiré de muscles qui sauté en rythme, ses belles lèvres toujours tournées vers le ciel, qu'importe la météo. Peut-être qu'il était comme moi, paumé jusqu'au fond de sa conscience, persuadé qu'il clochait, qu'il avait un défaut qui lui pourrissait le visage. Peut-être que là, dans son cœur, ça avait mal, c'était vide d'amour, vide de passion, vide de vie. Que ses veines aussi étaient remplies de tourments qui s'échappaient sous la musique que le Dj laissait bousiller nos tympans.
Et il a fallu que l'on ait dansé à ne plus compter les heures, que l'on se soit noyés dans une musique trop à la mode et qu'on se soit embrassés sans se soucier de rien pour que mes lèvres lui aient confiés leurs premiers je t'aime qui criaient dans mon cœur depuis si longtemps.
On est sortis du bar, ou plutôt de la boite dans laquelle on était allés après. J'ai gardé la main de Mahé. Le soleil se levait, ou se couchait. C'était l'aube crépusculaire la plus agréable que je n'avais jamais vue. On a marché jusqu'à la plage, des acouphènes plein les oreilles. Il y avait Clémentine, Albert, Loris, et d'autres jeunes de notre âge qu'on avait récupérés en route. On a plongé nos pieds dans l'eau fraîche. Il n'y avait pas de vague, le soleil se déposait sur nos visages abîmés par cette soirée. Clémentine racontait sans plus aucune barrière de pudeur ou de langue sa vie à Loris et lui racontait la sienne. Aucun des deux n'écoutait vraiment l'autre.
Mahé a déposé un baiser chaud dans mon cou, et j'ai ri du frisson que ça m'a créé. Un rayon de l'aube crépusculaire s'est déposé sur son visage, ses yeux pétillaient avec encore plus d'intensité.
— Tu sais que tu peux lâcher ma main, je n'irais nulle part, m'a-t-il promis.
Mes sandales ont écumé l'eau de mer qui y avait pénétré lorsqu'on est sortis pour s'allonger dans le sable. Albert chantait haut les cœurs des chansons un peu paillardes avec les autres fêtards. J'ai laissé ma tête tomber dans les grains humides, Mahé toujours à mes côtés.
Nos mains enlacées, c'était comme diviser nos maux en deux, comme se délaisser d'un fardeau trop lourd un temps. C'était comme une chanson écoutée en boucle tellement de fois que ça en devenait rassurant, on se rejouait le même film, on s'appuyait sur les mêmes sensations réconfortantes. Pas d'inconnu, pas de virage surprenant. Mais je l'ai quand même lâchée. On s'est séparé le cœur léger, parce contre moi il m'a à son tour murmuré qu'il m'aimait. Et sur cette plage je l'ai cru.
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OK vous allez finir par vous demander pourquoi tout tourne TROP bien là, non ? 🥰🤭 va falloir que je crée un peu de drama sinon vous allez plus venir lire !😂
Bref je rigole, on verra ça au prochain chapitre, en attendant je vous laisse avec une lettre ! 😘
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Lettre à Élise
Teen FictionSur un coup de tête, Cléo part en compagnie de Jules, Katie, Mahé et Clémentine grimper les montagnes de la Corse. Ils n'ont aucune préparation, seulement quelques affaires entassées dans leurs sacs à dos et leur amitié fébrile. Pourtant, même les p...