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     J'ai ouvert les yeux avec difficulté, extraite d'un rêve que je n'avais envie de quitter. J'ai mis un temps à me rappeler où j'étais. Seule dans un grand lit vide, enroulée dans des draps de rose. Des volets entrouverts, je devinais la nuit tombante au-dehors. Je suis sortie du lit pour m'asseoir au bord de la fenêtre ouverte. Des voix sur la terrasse juste en dessous me parvenaient. Gaies et chatoyantes.

Un rire alors familier a dénoté au milieu du raffut. Je me suis redressée. Katie ! J'ai enfilé le premier t-shirt que j'ai trouvé et un short en vitesse pour dévaler l'escalier qui descendait vers le rez-de-chaussée, la joie au bord des lèvres.

J'ai traversé la grande salle de restauration vide par laquelle j'étais entrée plus tôt, guidée par la rire de Katie. Sans hésiter, j'ai foncé sur la terrasse, persuadée d'y retrouver mes amis, réunis.

— Hey, m'a souri Mahé en me voyant débarquer.

Il était attablé avec Antoine et d'autres personnes qui ne me disaient rien. J'ai disséqué chacune des tables de la terrasse pour y trouver mon amie. Une dame dans le fond a ri, et j'ai compris ma méprise. Pas de Katie.

Je me suis affalée sur la chaise que Mahé m'a dégottée.

— Reposée ?

Je n'en savais rien. J'ai éludé sa question en m'intéressant à ce qu'était en train de découper Antoine.

—Vous faites quoi ?

Le visage rouge de l'hôtelier s'est déformé de joie. Il a gueulé, déjà bien rond :

— On en était à la dégustation de fromages !

Il a rempli un verre à pied de rouge et me l'a tendu. Je n'ai pas osé le chagriner, je l'ai accepté sous le regard amusé de Mahé, sans pourtant y toucher.

— Alors, tu goûtes ? a insisté une dame en s'approchant de la table à l'intention de Mahé qui, d'un coup, a arrêté de rigoler.

C'était mon tour de le lorgner, étonnée.

Antoine lui a tendu le plateau de fromages. J'ai plissé des yeux pour voir ce qu'il comportait.

— De la tome ?

— Pas n'importe laquelle, m'a repris Antoine. De la tome véreuse.

J'ai frissonné sous mon t-shirt.

— Hein !?

Sa femme s'est esclaffée.

— Ah, ces citadins !

Je me suis sentie offensée, j'étais de la campagne ! Enfin, celle qui sent les vendanges en septembre et qui se remplit de moustiques l'été. Pas celle des fromages remplis de vers.

— C'est que des p'tits asticots, a précisé Antoine. Ça donne un goût particulier. On appelle ça le Merzu.

J'ai plissé les yeux pour détailler le fromage. Progressivement, sa surface s'est mise à bouger.

Mahé était pâle comme un linge à côté. J'ai pouffé.

— T'attends quoi ?

Une tape dans le dos. Il a grimacé.

— Ok.

— Sérieux ?

— Mon plat préféré que me fait ma grand-mère, c'est des guêpes frites. C'est pas trois asticots qui vont m'empêcher de manger du frometon.

— J'aime cette mentalité ! s'est ravi Antoine.

Il a coupé le fromage en plusieurs morceaux pour les membres de la table et celles avoisinantes.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant