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     La traversée de la crête s'est mieux passée que dans nos craintes. Nous avons longé les plaques de granite par à un passage étroit. La tâche n'était pas aisée mais, grâce au calme de bouvier de Mahé, Clémentine a pu avancer pas après pas jusqu'au bout. Lors des passages techniques, où le versant de la falaise appelait à la chute et où la roche s'effritait, des câbles et chaînes étaient mis en place pour nous aider.

En tête, je n'ai attendu personne. Katie et Jules faisaient leur bout de route tandis que Mahé s'occupait de rassurer Clémentine. En équilibre, n'utilisant presque pas les câbles, j'ai laissé mes doigts filer sur la silice et mes yeux louer la beauté du paysage sous mes pieds. Des pins aux brins encore vert sapin caressaient le ciel bleu. Le soleil déposait sa vive lumière sur leur cime et révélait parfois un écureuil en pleine course. Par moment, le cri d'un rapace accaparait l'espace par sa présence suspendue. J'imaginais rongeurs et reptiles se figer dans l'espoir que leurs pelages se confondent à celui du sol calcaire et des brindilles brunâtres.

J'ai croqué ces instants de vie, pulsée par l'adrénaline.

— Plus jamais ! s'est plaint Clémentine une fois en sûreté sur la terre jaune du sentier balisé.

Mahé a passé son bras autour de ses épaules pour la féliciter.

— Tu vois, t'es une guerrière.

Elle a rougi en détournant les yeux.

Nous avons profité de l'accalmie pour nous reposer, avant de repartir pour achever enfin cette première étape qui nous mettait à mal.

Nos piètres compétences sportives remettaient nos doutes sur le tapis. Je sentais que chacun évaluait les capacités des autres en plus des siennes. Serions-nous capables d'atteindre le bout de la randonnée avec nos jambes spaghettis, nos kilos en trop et nos cœurs essoufflés ? Insouciants, nous avions cru qu'il suffisait de savoir marcher pour pénétrer dans le GR, sans se douter que l'entraînement allait nous manquer.

Mais comme entendant nos troubles, le refuge, perché au point culminant de la randonnée, nous est apparu alors que l'épuisement des troupes devenait menaçant. C'était un gros chalet aux volets vert pomme tournés vers la vallée. À la terrasse, randonneurs fatigués buvaient un verre, fumaient un clope, étendaient leur linge.

En nous voyant arriver, cinq clampins au pas bancal, un groupe s'est mis à nous applaudir. Comme poussés par cet élan d'enthousiasme, nos derniers efforts ont été soulagés. Nous avons été accueillis de grands sourires et tapes dans le dos.

— V'la les p'tits derniers ! s'est réjoui un homme d'une cinquantaine d'années à la peau dorée par le soleil.

Il était dix-huit heures et, bien qu'au mois de juin les jours se couchent tard, aucun randonneur ne se permettait d'arriver après. C'était une question de sécurité. Ils avaient tous dû partir à l'aube car nous n'en avions croisés aucun sur le chemin.

Nous nous sommes laissé tomber sur les chaises plastiques de la terrasse. Mes tempes ont pulsé encore un bon quart d'heure, meurtries par l'effort de la journée. Mahé et Katie sont entrés dans le refuge pour signaler notre présence au gardien et valider notre réservation.

— Prem's à la douche ! a annoncé Jules en se massant les mollets.

— Deuxième ! s'est prononcée Clem, fébrile.

J'ai ravalé ma fatigue et ai accepté la troisième place. Clémentine semblait au bord du malaise.

— Ça va petiote ? s'est inquiété Didier, l'homme bronzé, en posant sur son épaule une main rassurante.

La tête de notre amie a vacillé, ses lèvres ont murmuré un « oui » inaudible.

— Mange ça, tu manques de force.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant