Chapitre 1

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Ce matin-là, le hall de l'Académie bruissait d'une rumeur rare.

Calliopé se frayait un chemin à travers les élèves agglutinés sous les voûtes de pierre.

Le théâtre de la Grande-Casse a acheté sa pièce de fin d'études ! Quatre mille livres ! On parle d'une trentaine de représentations programmées, dont la première devant toute la Cour.

— J'ai entendu dire qu'il sera l'invité d'honneur de notre banquet de spécialisation. Tu te rends compte ?

— J'ai lu sa pièce. Elle n'est même pas si extraordinaire que ça ! Je ne comprends pas qu'il ait eu la note maximale.

— Mais ses textes font fureur au salon de Mme de Folmoore.

— Ces dames se pâment surtout devant Orphen, ricana un autre.

— C'est pas pour rien que toutes les filles de l'Académie gloussaient sur son passage.

— Je suis sûr que même Calliopé avait un faible pour lui. Pas vrai ?

Calliopé s'arrêta net devant Egan, qui venait de l'interpeller. Elle se contenta d'un haussement d'épaules. Elle ne pouvait pas nier qu'Orphen était physiquement attrayant et qu'elle avait rougi la seule fois où il lui avait adressé la parole. Orphen était plus âgé, il avait été peu aisé de l'aborder durant son temps à l'Académie. Et surtout, il était bien plus doué, bien trop loin au-dessus d'elle. Pour les gens comme Orphée, Calliopé n'existait pas. Ni aux yeux de quiconque, d'ailleurs.

Quelqu'un agita un feuillet sous son nez. Elle s'en empara et déchiffra le titre, ce qui lui ôta la tâche de répondre. LE MERCREDI 20 OCTOBRE, AU THÉÂTRE DE LA GRANDE-CASSE, LA PREMIÈRE DE AISLING SERA JOUÉE DEVANT LE RÉGENT.

Un portrait en couleurs d'Orphen se découpait dans un médaillon. Des cheveux bruns, un visage aux traits réguliers. Le dessin était coupé à la taille, dévoilant l'uniforme noir de l'Académie dont leur ancien camarade était affublé, orné d'une broche dorée en forme de plume. Calliopé trouva cela stupide. Il portait certainement des vêtements bien plus luxueux, désormais, et pouvait obtenir tout ce qu'il voulait avec la somme qui avait été versée pour l'achat de ses droits. Ses mains jointes sur sa poitrine portaient un rouleau sur lequel on discernait, en lettres majuscules, la devise de l'Académie : Selon les règles des Muses.

Une voix froide et maîtrisée trancha le brouhaha.

— Orphen est un auteur talentueux. On confond peut-être le texte et l'artiste dans les salons, mais l'Académie et les théâtres ne jugent une pièce que par sa qualité.

Adossé à l'une des colonnes du péristyle, Alstair venait de parler.

Des cheveux blonds couronnaient sa tête en douces ondulations, si chatoyantes que l'on aurait dit de l'or liquide. Des yeux bleus qui rappelaient la mer un jour d'été. Si Orphen était difficilement approchable, Alstair, lui, était inaccessible : il était le neveu du Régent. Et le prince légitime de Brythénia.

Derrière lui, son Chevalier qui ne le quittait jamais d'une semelle formait une silhouette protectrice, sa cape d'un blanc immaculé tombant en un drapé parfait jusqu'au sol. Ses yeux sombres se fixèrent sur Calliopé un instant et ce fut comme s'il la transperçait.

La cloche sonna au même instant ses coups profonds et graves, signalant le début des cours. Pendant que ses camarades se dispersaient, Calliopé posa à nouveau les yeux sur le feuillet qu'elle tenait à la main.

LE MERCREDI 20 OCTOBRE, AU THÉÂTRE DE LA GRANDE-CASSE, LA PREMIÈRE DE AISLING SERA JOUÉE DEVANT LE RÉGENT.

C'était le lendemain.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant