Les éclairs qui fendaient le ciel se reflétaient sur les lames.
Calliopé inspirait par grandes bouffées paniquées l'odeur de la pluie et de la nuit qui s'engouffrait sur le promontoire. L'orage, aveuglant pour ses yeux habitués à l'obscurité, éclairait les portes massives qui lui faisaient face, encadrées par des gardes aux épées dégainées devant eux, sentinelles funestes.
Dans la voiture qui l'avait amenée au palais, on l'avait endormie. Elle s'était réveillée dans le noir le plus complet, des effluves d'humidité et de moisissure dans les poumons. Sa cellule ne comportait aucune fenêtre qui lui aurait permis d'estimer le passage du temps. La geôle était inconfortable et sa bouche bâillonnée, mais ce n'était rien face à l'anxiété qui l'avait rongée. Au moins, on l'avait nourrie et on lui avait même apporté des couvertures. Devait-elle à Alstair cette miséricorde ? Ou à Ghalard ? Les gardes s'étaient montrés moins prévenants quelques minutes plus tôt, lorsqu'ils l'avaient tirée des ténèbres, sans pitié pour ses jambes tremblantes.
Les portes furent ouvertes, raclant sur le sol dans une mélopée furieuse. Elles dévoilèrent une longue salle taillée dans la roche à l'instar de tout l'édifice, ornée d'une colonnade sombre et flanquée d'une multitude de torches et de lampes. À son extrémité, des marches. Et...
On la poussa en avant ; sous ses pas, le sol tanguait et elle dut baisser la tête pour se concentrer.
Calliopé eut à peine le temps de discerner Lord Arzhul, entouré par des gardes et à quelques pas d'elle, qu'on la jetait au bas des marches. Les chaînes qui entravaient ses poignets chantèrent en heurtant le sol.
Calliopé grimaça sous la douleur, qui se mut en un rictus lorsqu'elle leva la tête. Les bottes d'Alstair, impeccablement cirées, ne touchaient même pas le sol. Suspendues à quelques centimètres du marbre glacé, elles tressaillirent lorsque Calliopé se redressa un peu plus. Son camarade se tenait rencogné dans un trône trop grand pour lui, au sommet des degrés qui les séparaient. Ses traits étaient pâles contre la roche noire, et une couronne dorée ceignait son front. C'était la première fois que Calliopé le voyait ainsi – en prince. Elle n'aima pas cette vision.
Si elle n'avait pas été en si mauvaise posture, si un bâillon ne l'empêchait pas de parler, elle se serait peut-être fendue d'une salutation mâtinée de raillerie. D'ailleurs, les yeux d'Alstair ne quittaient plus ses lèvres, et il s'agita sur son trône, soudain mal à l'aise.
— Nous vous attendions.
Le Régent se tenait à la droite du prince, debout, bien qu'un second trône se trouvât non loin. C'était lui qui venait de parler ; elle détesta sa voix à l'instant où elle l'entendit. Tranchante, sévère, sombre. Elle s'insinua jusqu'à son cœur et elle le fit accélérer désagréablement. Là où les vêtements d'Alstair étaient cousus d'or, ceux de son oncle étaient entrelacés d'argent. Mais c'était lui qui tenait le pouvoir dans ses mains. Le Régent entreprit de descendre les marches, dans une lenteur calculée.
— Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
Calliopé hésita. Elle pouvait difficilement prétendre ignorer la raison de sa présence en ces lieux, mais l'avouer constituait sans doute un aveu. Aussi garda-t-elle silence.
— Vous êtes ici pour répondre de vos actes. Et pour nous livrer votre créature.
Il parlait de ses actes comme si elle les avait commis volontairement. Comme si elle pouvait assumer ce qu'elle avait fait. Calliopé soutint le regard de l'homme un instant, ne sachant quelle conduite adopter. Il était peut-être plus prudent d'abaisser les yeux, mais elle ne lui donnerait pas cette satisfaction. Le Régent ne broncha pas. Il se contenta de se tourner vers Lord Arzhul.

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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...