Sur le coup de dix-neuf heures, Dunstan avait annoncé à Calliopé que Lord Arzhul l'attendait pour dîner. Calliopé avait écopé d'un regard dubitatif du majordome lorsqu'elle était sortie de la chambre qu'on lui avait attribuée, après avoir enfilé en catastrophe l'une des robes d'Ophélia et bataillé avec son corset. Ses cheveux étaient en pagaille, mais l'Imprimeur ne fit aucun commentaire lorsqu'elle se présenta dans la salle à manger.
C'était une pièce aux murs hauts, cernée de gigantesques tableaux figurant le désert d'Ard ou encore les champs ensoleillés des provinces centrales d'Eurys. Un feu crépitait dans une large cheminée, au-dessus de laquelle étaient accrochées deux épées entrecroisées, surmontées d'un blason que Calliopé aurait été bien en peine de reconnaître. Ainsi, sa fortune lui venait de sa famille. Cela expliquait que nul, dans le quartier des Imprimeurs, ne pouvait rivaliser avec son entreprise.
Ce faisant, elle contempla les mets qui se trouvaient déjà disposés sur la table. Il y avait là du gibier et des tourtes à la croûte dorée, des légumes aux effluves qui la faisaient saliver, des petits pains ronds qui paraissaient encore chauds. Il flottait dans l'air l'odeur alléchante des épices venues du royaume d'Ard. La table rivalisait sans conteste avec celles des banquets de l'Académie.
— Bonsoir, Calliopé.
Elle sursauta. Arzhul se tenait à l'autre bout, si parfaitement immobile que Calliopé ne s'était aperçue de sa présence.
— Bonsoir, bredouilla-t-elle.
Il avait quitté son manteau et arborait à présent un veston violet orné de fils d'argent, dont la couleur sombre faisait ressortir ses longs cheveux blancs noués en un catogan et ses traits pâles et émaciés.
Comme il lui faisait signe de prendre place, elle s'installa à la table. Aussitôt, Dunstan vint les servir avant de disparaître. Calliopé demeura là, figée, un peu mal à l'aise.
— Êtes-vous bien installée ?
Calliopé avait passé l'après-midi dans la chambre, à fixer le plafond, trop hagarde pour faire quoi que ce soit. Les images de son affrontement avec Alstair tournaient en boucle dans son esprit, et sa fuite de l'Académie. Un nœud d'angoisse serrait sans répit son ventre. Elle se força à sourire.
— Oui, je vous remercie. Je ne resterai pas longtemps, je vous le promets, je partirai dès que possible.
Arzhul leva son verre de vin vers elle et prit une gorgée. Elle se risqua à faire de même : le liquide coula dans sa gorge, plus sucré qu'elle ne l'aurait pensé. Calliopé ne s'y connaissait pas en vin, mais elle pouvait deviner rien qu'à la pièce dans laquelle elle se trouvait que c'était là un produit luxueux, et cela la plongea davantage encore dans l'embarras.
— Refermer le vortex ne vous assurera peut-être pas un retour à l'Académie. Vous avez fait de la Prose sur le prince héritier.
Non, c'était une évidence. Il n'y avait qu'une seule façon dont cela pouvait se terminer : on l'attraperait et elle serait jugée par la Garde comme la Prosatrice qu'elle était. Rien ne disait que la couronne ferait le lien entre les deux évènements, et elle n'était pas certaine qu'avouer qu'elle avait ouvert ce trou noir, l'eût-elle fait disparaître, lui accorderait une clémence royale.
— Je sais.
— Et que ferez-vous alors ?
— Je ne sais pas encore. Je me demandais...
Elle se mordit la lèvre, trop consciente d'abuser déjà passablement de l'hospitalité de l'Imprimeur. Mais celui-ci la fixait d'un air attentif, et elle suspectait qu'il savait ce qu'elle allait lui dire.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...