Les lettres d'or imprimées sur le cuir bleu nuit brillaient comme un soleil. La Muse foudroyée. L'ouvrage d'Orphen, tout juste sorti des presses : Arzhul en avait fait livrer, à titre gracieux et en avant-première, une caisse entière à l'Académie dès l'aube. Les livres s'étaient arrachés au petit déjeuner.
Calliopé en avait attrapé une copie ; Alstair, lui, était resté attablé devant son porridge, la main de son Chevalier pesant lourdement sur son épaule. Elle pensait à ce qu'il lui avait dit dans la voiture ; à la solitude qui le rongeait comme elle. Elle songea que lorsque l'on était un prince, on était sans doute jamais plus seul qu'au milieu d'une foule.
Les lettres dorées l'aveuglaient, mais à travers elles, c'étaient des mots d'encre que Calliopé voyait. C'étaient les pages qui s'envolaient partout dans l'imprimerie, comme les ailes de créatures chimériques. C'était la peur qui l'avait tenaillée.
La jeune fille hissa son regard vers le prince. Ils avaient peu parlé depuis leur visite à l'imprimerie et leur rencontre avec Arzhul, une semaine plus tôt. Ghalard trouvait toujours des prétextes pour qu'Alstair passe le moins de temps possible avec ses camarades, et, a fortiori, avec elle. Elle ne pouvait pas lui en vouloir : elle l'avait mis en danger, encore une fois.
Mais au creux de son ventre, une impression d'injustice brûlait. Alstair était le seul à qui elle aurait pu parler des cauchemars qui hantaient ses nuits ; Ghalard, le seul à posséder un semblant de réponse sur ce qu'il s'était passé.
Tout en sirotant son chocolat chaud, Calliopé feuilleta lentement le livre.
Elle avait vu la pièce d'Orphen, au théâtre de la Grande-Casse, bien entendu. Parfois, la nuit, les décors somptueux étaient encore inscrits sous ses paupières. Mais ce qui se trouvait là, sous ses doigts...
C'était différent. C'était en prose.
Il n'y avait aucun risque tant que le texte était lu en silence, pourtant, elle sentit son cœur accélérer légèrement. Les pages défilaient, bien plus fluides, bien plus compréhensibles que tous les textes versifiés qu'elle lisait habituellement. Les mots n'étaient pas tordus, contraints par l'espace réduit d'un alexandrin : ils étaient libres. Les images qui naissaient dans son esprit lui paraissaient même plus vives. Et l'histoire... Calliopé suspendit sa lecture et referma d'un coup sec l'ouvrage. Son ventre se tordit, et ce fut comme si un poing s'était refermé sur ses entrailles.
***
Lorsqu'un plateau se posa face à Alstair, son premier réflexe fut de songer à son Chevalier, qui se tenait debout derrière lui. Il avait laissé quelqu'un s'approcher.
Une chevelure blonde entra dans son champ de vision, et une odeur caractéristique de lilas effleura ses narines. Idalia. Alstair ne fut pas surpris. C'était bien la seule à l'encontre de qui son protecteur ne nourrissait pas la moindre méfiance.
— On te voit à peine ces temps-ci, Alstair.
Si Ghalard avait veillé à ce qu'il s'éloigne un temp d'Idalia, l'incident de Prose qui avait eu lieu semblait loin derrière eux désormais. Il avait même rompu d'un pas pour lui accorder un peu d'intimité. Parce qu'Idalia était une amie de longue date, et une fille de la noblesse de l'empire voisin, une élève douée qui l'adulait et qui était promise à un grand avenir tracé par les règles des Muses. Tout l'inverse de Calliopé.
Pourtant, cela faisait un moment qu'il ne lui avait pas adressé la parole ; qu'ils ne s'étaient pas installés dans la cour pour échanger sur leurs devoirs à rendre. Alstair s'était éloigné, sans même le remarquer.
— Oui, j'ai... j'étais beaucoup au palais.
Idalia savait bien où il se rendait. Et en plus, ce n'était même pas vrai. Il était parti à l'aube après l'attaque du poète – et l'arrivée de Phénix – avec Ghalard et il n'avait pas remis les pieds au palais depuis, à son plus grand soulagement. Idalia eut cependant la délicatesse de ne pas relever son incohérence.

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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...