Alstair courait dans les couloirs, ce qui était formellement interdit par le règlement.
Mais les murs de l'Académie, ce soir, avaient vu bien pire qu'une petite infraction.
De la Prose.
Il frémit de dégoût à l'idée que des mots puissent respirer librement, désordonnés, jaillissant d'on ne savait où, ne se pliant à aucune règle.
Elle avait fait de la Prose, et elle en avait fait usage sur lui !
Sa gorge le brûlait et il tremblait de tous ses membres. Lorsqu'il parvint au sommet de l'escalier de l'aile ouest, il s'évertua à retrouver son calme. Ghalard avait l'ouïe fine, et il ne manquerait pas de noter son affolement. Après quelques respirations pour se raffermir, il s'engagea dans le couloir. Bien vite, la silhouette et la cape blanche de son Chevalier se découpèrent dans la pénombre.
— Monseigneur, salua Ghalard en ouvrant la porte des quartiers.
Avec leurs dorures et leurs fresques, les appartements étaient sans nul doute l'un des endroits les plus fastueux de l'Académie – en comptant la bibliothèque et la salle de banquet. Contrairement aux chambres de ses camarades, on y trouvait une cheminée ; le feu qui y brûlait à présent réchauffait la pièce. Alstair jouissait aussi du luxe de posséder sa propre salle d'eau, un bureau personnel et un grand lit recouvert de fourrures.
D'ordinaire, le jeune prince aimait se délasser dans un bain brûlant après des soirées comme celles-ci, passées à sourire, à se tenir bien droit et à tâcher de se souvenir du nom de chaque personne qu'il croisait. Ce soir, il avait juste envie de s'écrouler sur son lit.
Il se planta devant le grand miroir qui ornait un des murs et entreprit de se dévêtir. Mais ses doigts tremblaient sur les rubans qui maintenaient fermé le col délicat de son veston. Il laissa ses bras retomber le long de son corps et ferma les poings, les dissimulant à la faveur des manches de dentelle.
— Ghalard, aide-moi. Le nœud est trop serré.
Le Chevalier s'approcha. Malgré sa carrure, il se mouvait avec grâce. Sa chevelure brune retombait sur sa nuque. Une cicatrice barrait sa joue, démarrant juste en dessous de son œil gauche pour se terminer sur sa mâchoire. Alstair l'avait trouvé effrayante la première fois qu'il l'avait aperçue. Assurément, s'était-il dit alors, un homme qui avait laissé une telle marque s'inscrire dans sa peau ne pouvait être apte à assurer sa protection. Il s'était trompé : c'était le signe que Ghalard avait survécu à bien des combats. Mais il ne l'avait pas protégé ce soir.
— Quelque chose ne va pas, Votre Altesse ?
Les yeux sombres de son protecteur, se fixèrent sur lui. Non, ce n'était pas la faute de Ghalard : Alstair avait insisté pour se retrouver seul. Et voilà où cela l'avait mené.
— Ce n'est rien. Nous avons... eu quelques mots, Calliopé et moi. Je suis contrarié, voilà tout.
— Je vois.
— Nous ne parlerons pas de sa présence au théâtre ce soir.
Ghalard fronça les sourcils. Mais il ne répliqua pas.
Quand bien même Alstair aurait voulu avertir Lord Phrastos de l'escapade de Calliopé, il avait la certitude que sa langue se serait figée dans sa bouche, qu'aucun mot ne serait sorti de ses lèvres. Il ne pouvait être sûr que l'odieux commandement avait atteint son Chevalier, mais il n'était pas question de l'inquiéter en lui racontant l'hérésie dont il venait d'être témoin.
— Bien, monseigneur.
Alstair dévisagea son propre reflet dans la glace. Lui n'avait pas besoin de recourir à la Prose pour se faire obéir. Ghalard défit les rubans en quelques gestes adroits. Lorsqu'il releva ses yeux vers le jeune prince, un orage qu'Alstair ne connaissait que trop bien y fulgura.
VOUS LISEZ
Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...