Chapitre 30

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Combien de fois s'était-il tenu éveillé ainsi, avec pour seule compagnie la lune qui descendait dans le ciel ? Trop pour pouvoir compter. L'Académie était plongée dans le silence. Seul le doux tambourinement de la pluie résonnait contre les carreaux.

Autrefois, Alstair aimait ce bruit : dans ses quartiers du palais, creusés à même la roche, le son de la pluie lui parvenait à peine, étouffé par la montagne ; lorsqu'il le percevait si distinctement, cela provoquait en lui un doux vertige. Aujourd'hui, ce son l'oppressait. Il aurait tout donné pour se trouver ailleurs. Pour s'enfouir sous la pierre noire des murs royaux et ne plus en sortir.

Il avait bien vu la façon dont on l'avait dévisagé. Les chuchotements. Tout.

La gorge d'Alstair était irritée comme si une soif intense la tenaillait. La Prose et la honte le brûlaient tout entier.

Il n'avait pas prononcé le moindre mot lorsqu'on l'avait conduit à l'infirmerie. On l'avait allongé sur un lit, comme si les marques qui zébraient son dos n'étaient pas de vieilles cicatrices, mais des plaies à vif. Comme s'il y avait quelque chose à soigner. Elles étaient à présent dans tous les esprits, et sûrement bientôt dans tous les journaux. Ghalard n'était arrivé que bien plus tard pour l'escorter jusqu'à sa chambre. Là, il lui avait appris que Calliopé s'était enfuie.

Calliopé. Où était-elle ?

Par la fenêtre entrebâillée, Alstair sentait l'air glacé de la nuit qui s'engouffrait dans la pièce. S'il apaisait la honte qui brûlait tout son être, il espérait que Calliopé n'endurait pas le froid, qu'elle avait trouvé un refuge, quelque part. Mais où pourrait-elle s'abriter, sans fortune, sans le moindre soutien ?

Sans le moindre soutien...

Alstair jeta un regard vers la porte de la chambre. Elle était fermée. Jamais à clé, Ghalard ne l'autoriserait pas, le jeune prince l'avait appris à ses dépens dans les jours qui avaient suivi l'arrivée du Chevalier. Ghalard se mettait rarement en colère contre lui, mais lorsqu'il le faisait, Alstair en oubliait même qu'il était son seigneur.

Si son Chevalier ne dormait que quelques heures par nuit, l'absence de lumière filtrant de sous la porte menant au salon indiquait toutefois qu'il devait être plongé dans le sommeil. Un sommeil léger, qui pourrait se briser, il le savait, au moindre de ses remuements. Il avait retenu la leçon de cette fois où l'ombre s'était glissée au palais.

Le souffle court, Alstair s'assit en tailleur sur son lit.

— Phénix, chuchota-t-il.

Il avait l'air sûrement idiot, ainsi, à prononcer son nom comme s'il pouvait l'entendre. Mais... Par les Muses. L'idée qui venait de lui traverser l'esprit était insensée, dangereuse, répugnante. Mais il n'était pas question qu'il laisse tomber Calliopé.

Il ferma les yeux. C'était là, tapi dans son esprit depuis toujours. Il savait comment faire. Cela le démangeait, comme une blessure mal cicatrisée. Il crispa ses doigts sur les draps pour se raffermir et laissa sa Prose monter en lui.

Sa volonté vacilla comme une flamme se recroqueville sous l'assaut du vent.

Il attendit de longues minutes ainsi, le cœur au bord des lèvres. Il lui semblait que sa gorge le brûlait de honte, que ses entrailles étaient nouées de terreur.

Phénix. Viens. S'il te plaît.

À peine le souffle s'était-il échappé qu'il claquemura sa Prose au fond de lui-même. Son cœur pulsait à grands coups dans sa poitrine.

Dans la pénombre, il lui semblait que toutes les ombres s'allongeaient, menaçantes. Il songeait à la noirceur terrifiante du trou noir qu'il avait aperçu dans l'imprimerie de Boréas. Que se passerait-il si, au matin, on découvrait dans ses quartiers un trou noir similaire ?

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant