Chapitre 22

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Les ténèbres dévoraient le hall de l'Académie. Il était tard ; au loin, un clocher sonnait deux coups. Calliopé avait déambulé un long moment dans les rues d'Airdehaven, perdue – non physiquement, mais mentalement. Une partie de son esprit ressassait sa discussion avec l'Imprimeur tandis que l'autre, anesthésiée par une peur sourde, peinait à guider ses pas. Elle serait volontiers restée là, dans cet entre-deux glacé formé par les ruelles de la ville, des jours durant.

Là-bas, elle pouvait prétendre. Prétendre qu'au-dessus de la cité ne régnait pas un Régent intransigeant, aveuglé par la peur, apeuré par la liberté. Que dans les entrailles d'Airdehaven un imprimeur cupide, ne servant que ses propres intérêts, avait connu et son père et sa mère. Et que son ami de toujours ne risquait pas de mettre, malgré lui, en péril l'ordre du monde.

Puis le froid et la fatigue avaient eu raison d'elle, et Calliopé avait grimpé l'escalier menant à l'arrière de l'Académie. L'ascension lui avait semblé interminable, et, lorsqu'elle s'était glissée à travers le passage des cuisines, tout tournait autour d'elle.

Elle avait mal au cœur, mal au corps, mal partout. L'épuisement et la tension qui la parcouraient la faisaient chanceler, pâle silhouette dans les miroirs du hall de l'Académie. Lorsqu'elle posa son pied sur la première marche de l'escalier, Calliopé jeta un cri de terreur.

Une main venait de s'abattre sur son épaule. Une main puissante et lourde, doigts refermés comme des serres. Elle ne put résister lorsqu'on la fit pivoter. Une voix familière résonna.

— Où étiez-vous ?

— Mais ça ne va pas, d'attraper les gens comme ça ? explosa-t-elle.

Elle se dégagea d'un geste sec et recula, se massant l'épaule plus vigoureusement que nécessaire. Imperturbable, le Chevalier la fixait.

— Vous avez manqué notre entraînement.

Calliopé baissa les yeux. En vérité, elle n'avait pas pensé s'éterniser aussi longtemps. Elle aurait dû être rentrée depuis longtemps, mais Arzhul...

— Je me permets donc de vous reposer la question. Où étiez-vous ?

— En ville.

— Sur la grand-place ?

Calliopé ne pouvait pas se justifier. Elle ne pouvait pas évoquer son entrevue avec Arzhul, encore moins ce qu'il lui avait dit – même si ses paroles n'étaient que des balivernes.

— J'ai le droit, non ?

— Non.

Calliopé eut un rire. Elle s'engagea sur la marche suivante, bien décidée à mettre fin à cette discussion idiote.

— Que vous le vouliez ou non, vous êtes dans l'entourage du prince, désormais. Cela implique des responsabilités.

Calliopé se figea. Son cœur émit plusieurs battements suffoqués, pendant que les mots montaient lentement jusqu'à ses lèvres.

— Eh bien, cracha-t-elle, si c'est comme ça, j'aurais préféré ne jamais devenir son amie.

Elle gravit les degrés sans plus se préoccuper du Chevalier. Elle percevait bien son silence sévère, la façon dont il se tenait, muet et raide, en bas des marches. Elle s'attendait à chaque seconde à ce que sa voix résonne et à ce qu'il la réprimande davantage encore. Mais il n'en fit rien.

Elle aurait préféré, pourtant. Elle aurait tout préféré, plutôt que de rencontrer le regard d'Alstair qui, en haut des marches, la dévisageait. Tout plutôt que son douloureux silence.

Alstair, ses yeux bleus, l'or de ses cheveux, l'émeraude de sa veste.

Tout cela lui vrilla le cœur.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant