La chambre du palais est plongée dans le silence, tout juste éclairée par la petite lanterne sur sa table de chevet. Elle projette des silhouettes fantastiques sur les murs : là, un chevalier en armure, lance pointée vers un ennemi invisible, ici, des montagnes gigantesques. Alstair peut en changer les panneaux à l'envi, et même la faire tournoyer pour que soudain les personnages se mettent en action sur les grands murs de ses appartements.
Mais ici, maintenant, rien ne se meut, si ce n'est le délicat voile des rideaux en cette nuit d'été.
La nuit, Alstair entend la mer qui gronde au loin.
La mer qui a emporté Mère et Père.
Dans ses cauchemars, les plages de sable noir s'étendent sans fin, et une vague immense et violente s'abat sur lui. Il la sent dans ses moindres détails : l'étau glacé qui lui coupe la respiration, l'eau qui s'écrase contre son corps et imprègne ses vêtements, le goût de sel sur ses lèvres. Elle l'emporte lui aussi, loin, si loin.
Mais si Alstair ferme suffisamment longtemps les paupières, si Mhairi ne vient pas le tirer de ses songes, il peut parfois apercevoir Père et Mère. Parfois, ils marchent au-dessus des flots, Mère vêtue de sa robe blanche de mariée, Père de son manteau d'émeraude et d'or, le front ceint de la couronne royale – les vêtements du grand tableau que Broden a relégué dans la salle d'apparat. Ils sourient.
Alstair est tiré de ses pensées par une brise.
Une ombre se glisse à travers la fenêtre. Ce n'est pas la silhouette d'un oiseau nocturne, comme il le croit d'abord. Non. C'est plus sombre, plus informe.
Informe ? Pas vraiment. Elle se glisse entre ses paumes, curieusement solide. On dirait de l'encre ayant pris vie.
— Qui es-tu ? demande le prince.
— Perséus.
Il reconnaît dans son nom les inflexions de l'empire voisin, des terres de sa mère.
— Tu viens d'Eurys ?
— De bien plus loin encore, Alstair.
— Tu connais mon prénom !
— Qui ne connaît pas le nom du prince ?
C'est vrai. Où qu'il aille, Alstair n'a jamais besoin de se présenter.
L'ombre ne dit rien pendant de longues secondes, mais il semble au garçon que son attention est fixée sur les images de la lanterne qui décorent les murs.
— Tu aimes les histoires.
— Oui, approuve Alstair. Tu vois le chevalier, là-bas ? Il chasse un dragon. Une fois, Mhairi m'a dit que c'était un kraken. Elle a dit que c'était pour changer. Je lui ai dit que c'était idiot de changer les détails d'une histoire.
Et puis, les krakens lui font penser à l'océan. À Père et Mère. Parfois, il se demande si de gigantesques tentacules se sont abattus sur le navire et l'ont coulé ; s'ils ont entraîné ses parents sous les flots glacés. Il n'aimerait pas mourir de cette façon.
— Je comprends, fait Perséus. Parfois, les histoires ne tiennent qu'à un fil. Un mot, et tout peut basculer.
Il y a une certaine tristesse dans sa voix, et la créature devient un peu plus froide contre sa peau.
— Mais si tu le pouvais, ne voudrais-tu pas changer les détails de ton histoire ?
Alstair contemple un instant la petite masse de ténèbres qui repose dans sa paume.
— Ce n'est pas possible. Je suis un prince. Mon histoire ne change pas, c'est la même depuis toujours.
— C'est vrai. Un jour, tu vas sauver une demoiselle en détresse d'un dragon.
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Calliopé
FantasíaÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...