Calliopé gravit d'un pas précautionneux les escaliers qui montaient vers la bibliothèque. À cette heure, seuls le froissement de sa robe et le bruit de ses bottes troublaient le hall de l'Académie. Seules quelques lampes à gaz éparses, à la lueur tamisée, éclairaient la pierre, et dans les ombres Calliopé cherchait la silhouette familière de Phénix.
Sa gorge l'irritait comme avant la Prose. C'était désagréable, mais cela n'était rien en comparaison de la tristesse et de la peur qui la nouait tout entière. Il lui semblait qu'elle ne pouvait plus du tout respirer.
Elle croisa son reflet dans l'un des grands miroirs qui trônaient sur les murs de la coursive. Sa peau était exsangue et ses yeux ternes. Quelque chose de grave s'était posé sur ses traits et cela pesait plus lourd que du plomb.
— Je croyais avoir été clair. Je me rends compte que cela n'était pas suffisant, aussi vais-je tâcher d'être plus limpide encore.
Calliopé sursauta tandis que l'écho de la voix du Chevalier s'éteignait sous les voûtes de pierre. Il apparut dans la glace, à quelques pas d'elle.
La scène lui parut bien trop familière.
La jeune fille pivota lentement. Elle jeta un coup d'œil aux alentours, et lança avec toute l'insolence dont elle était capable :
— Je ne vois pas Son Altesse. Failliriez-vous à votre devoir ?
— Que faites-vous ici ?
Son ton était calme, trop peut-être. L'éclairage faisait saillir la cicatrice qui barrait sa joue et Calliopé peinait à ne pas la fixer.
— J'attends une réponse, poursuivit-il.
— J'étais en ville.
Elle avait voulu son ton mordant : elle n'était pas exactement sûre d'avoir réussi à convoquer assez d'impudence. La Prose tapissait encore sa gorge et la crainte de la laisser s'échapper l'empêchait de réfléchir. Ghalard avança jusqu'à elle. Calliopé, elle, recula, mais ne put aller bien loin. Son dos percuta le miroir.
Quelques jours plus tôt, il l'avait protégée d'un dragon. Ce soir, il lui semblait bien plus terrifiant que le monstre qu'ils avaient affronté.
— Désormais, vous ne quitterez plus l'Académie sans mon autorisation expresse.
— Et si je le faisais malgré tout ?
Le Chevalier eut un rictus.
— Je vous éloignerai de Son Altesse. Définitivement.
— Je ne lui parle plus.
— Vous vous trouvez dans la même pièce que lui chaque jour. C'est assez.
— Vous n'avez pas le pouvoir de me renvoyer.
— Je ne parlais pas de vous renvoyer.
Elle déglutit difficilement. Elle aurait voulu tout lui expliquer. Mais elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas lui dire ce qu'elle avait fait. Qu'elle était responsable des trous noirs qui s'ouvraient. Car que ferait-il d'elle, alors ? Il savait déjà qu'elle était une Prosatrice : sa vie ne tenait qu'à un fil.
— À la moindre incartade, vous ne me laisserez plus le choix. Me suis-je bien fait comprendre ?
— De quoi avez-vous peur ?
Le Chevalier rompit d'un pas et l'observa, un sourcil arqué.
— Je n'ai pas peur.
— Vous craignez que je n'approche Alstair.
— Pour son bien, je ne peux autoriser qu'il vous fréquente. C'est la troisième fois que vous enfreignez le règlement.
— Ne me dites pas que vous tenez des comptes ?
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...