Alstair était en retard. La cloche qui sonnait l'heure du dîner avait retenti depuis un long moment déjà. Calliopé patientait dans la bibliothèque depuis des lustres.
Les grandes étagères montaient jusqu'au plafond, couvertes de livres aux dos frappés de dorures. Calliopé, par ennui, avait entreprit de laisser courir ses doigts sur la première rangée pour en admirer les titres, ce qui lui avait déjà valu les remontrances d'un étudiant plus âgé – on ne touche les livres que pour les lire ou les emprunter. L'élève était parti et elle se retrouvait seule dans la pièce. Quelque part, une horloge égrenait un tic-tac furieux.
Enfin, elle entendit la porte s'ouvrir de l'autre côté des rayonnages. Elle s'élança en sa direction.
— Par les Muses, ce n'est pas trop...
Elle se figea net.
Ce n'était pas la silhouette d'Alstair qui se découpait dans l'embrasure, mais l'ombre d'un géant. La cape blanche accrochée à son dos attrapait la lumière, et Calliopé sentit un frisson dévaler son dos. La cicatrice qui barrait la joue de Ghalard, à la lueur de la lampe la plus proche, était terrifiante.
Il pénétra dans la bibliothèque d'un pas léger, avant de refermer la porte sans un bruit. Dans cette délicatesse, quelque chose pétrifia Calliopé. Elle aurait voulu se tapir derrière un rayonnage, mais ses yeux étaient déjà accrochés aux siens, retournant son ventre.
— Cette créature qui vous accompagne... commença-t-il d'une voix douce.
Le sang de Calliopé se figea dans ses veines.
— Est-elle présente en ce moment même ?
— Non, elle n'est pas revenue.
Elle avait parlé avec toute la hargne dont elle était capable, mais Ghalard ne se démonta pas. Au contraire, il poussa un soupir. Et posa une main sur la garde de son épée. Calliopé déglutit, le souffle brutalement coupé. Comptait-il s'en servir ? S'en servir contre elle ?
— Lorsque je vous ai vue pour la première fois dans cette imprimerie, elle marchait dans votre ombre.
Sa phrase acheva de faire sombrer son cœur.
— Co... comment ?
— Je vous en prie. Pensiez-vous étudier à l'Académie grâce à votre talent ?
— Je... J'ai passé le concours d'entrée.
Ghalard laissa un rictus lui échapper.
— Oh, je ne doute pas que votre compagnon l'a brillamment réussi pour vous. Mais vous auriez pu vous montrer médiocre, croyez-le, vous auriez été admise.
— Pourquoi ?
Mais elle connaissait la réponse. Pour une raison qui lui échappait, Ghalard n'ignorait rien de l'existence de Phénix et voulait le garder à l'œil. Depuis combien de temps savait-il que Phénix était avec elle ? Lorsque je vous ai vue pour la première fois dans cette imprimerie. Cela se pouvait-il ? Le Chevalier savait-il qui elle était depuis tout ce temps ? La surveillait-elle ? Son sang se glaçait de seconde en seconde.
Mais lorsqu'elle voulut parler, la voix de Phénix résonna depuis les ombres d'un pupitre.
— Je suis là. Cesse de torturer cette pauvre jeune fille, Chevalier.
— Phénix ! s'exclama Calliopé en se ruant jusqu'à lui.
Elle manqua de renverser la pile de livres entassés sur la table, et s'agenouilla à même le sol pour le prendre dans ses mains en coupe.
— Doucement, la tança Phénix.
Mais il ronronna comme un chaton quand Calliopé le pressa un peu plus contre elle, sous le regard empli de dégoût du Chevalier – elle en éprouva une étrange satisfaction.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...