Ophélia avançait d'un pas rapide et assuré. La démarche de celle qui savait où elle va. Cela lui faisait penser à la façon dont Lord Arzhul l'avait guidée dans les ruelles de Airdehaven. À sa surprise, elles quittèrent la vieille ville, traversant un pont qui enjambait un canal pour rejoindre les beaux quartiers, amassés au pied de la falaise du palais.
Le quartier des Imprimeurs s'appelait ainsi pour une raison : on y travaillait, on y vivait, on y mourait. À bien y réfléchir, elle n'avait pas vu d'appartements privés dans l'imprimerie d'Arzhul, mais elle avait supposé qu'il logeait non loin, comme ses confrères. Que l'homme d'affaires vive aussi à l'écart du reste de la Guilde la surprenait.
Ici, les maisons en pierre de taille dominaient de toute leur hauteur des ruelles pavées et larges, des lampadaires à gaz ornaient les trottoirs, et les végétaux qui n'avaient pas encore succombé au froid grimpaient le long des grilles en fer forgé dans un agencement millimétré.
— Vous ne me demandez pas pourquoi je veux le voir ? Lord Arzhul.
Sans s'arrêter de marcher, Ophélia pivota vers elle.
— Les affaires d'Arzhul ne concernent que lui, répondit-elle d'un ton léger.
Ce n'était pas l'impression que Calliopé avait eue, à les entendre dans l'imprimerie cette nuit où elle s'y était glissée, mais elle pouvait difficilement lui en faire part.
— Vous êtes autrice, alors, fit Calliopé.
— Oui.
— Vous avez étudié à l'Académie ?
— Non. Je suis originaire d'Eurys. D'Ammos, une petite province méridionale.
Calliopé eut un coup au cœur. Sa mère venait d'Eurys, elle aussi. Elle était originaire de la province d'Hélicon. Sa mère qui lui avait légué ses talents de Prosatrice.
— Est-ce vrai que n'importe qui apprend à écrire dans l'empire ?
— Pas n'importe qui, Calliopé. Tout le monde. Ne vous apprend-on donc pas le sens des mots, chez les Académiciens ?
Elle croyait entendre Arzhul parler et elle ne sut quoi répondre, mais Ophélia ne se formalisa pas de son silence :
— J'ai appris à l'école, dans le petit village où j'ai grandi. J'ai étudié à l'Université d'Albarion, avant de partir pour Brythénia il y a une vingtaine d'années.
— Pourquoi êtes-vous venue à Airdehaven ?
— Par amour. Par amour de l'art.
Si Eurys était le berceau des Muses, c'était dans les salons d'Airdehaven et sous l'influence de l'Académie que les carrières se bâtissaient. L'autrice sourit. Quelque chose qui ressemblait à de la tristesse passa sur ses traits.
Elles venaient de s'arrêter devant une maison. De chaque côté du perron se trouvait une étendue d'herbe où se dressaient des buis parfaitement taillés et des arbustes aux branches nues. La demeure en elle-même paraissait spacieuse, avec sa façade en pierre de taille blanche percée de nombreuses fenêtres, le balcon supérieur encadré de caryatides figurant ce qui ressemblait fort à des Muses. Si c'était là la demeure d'Arzhul, la jeune femme ne pouvait s'empêcher d'y trouver une certaine ironie.
— Nous y sommes.
Calliopé hésita un instant. Faisait-elle bien de venir ici ? Elle n'en avait pas la moindre idée, en vérité. Mais lorsqu'Ophélia gravit les marches du perron et souleva le heurtoir, Calliopé chassa ses doutes. Elle venait de s'enfuir de l'Académie, et Arzhul ne portait pas celle-ci dans son cœur. Elle était hors de danger ici. Sans compter qu'il pouvait, indéniablement, lui apporter les réponses aux trop nombreuses questions qui se bousculaient dans son esprit.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...