Le poète avait oublié une poignée de syllabes.
Quelques mots.
C'est donc le cœur qu'il faut, d'une lance, percer.
Et tout avait dérapé.
Après l'avoir conduit – à moitié porté serait plus exact – jusqu'à ses quartiers, Ghalard avait envoyé Alstair au lit sans décrocher une parole sur ce qui venait de se produire.
Alstair fixait le plafond sans trouver le sommeil. Il était presque tenté d'appeler son Chevalier – il se trouvait dans le salon de ses appartements et, même si aucune lumière ne filtrait de la pièce, il était peu près certain qu'il ne dormait pas. Parfois, lorsque le prince ne parvenait pas à dormir, ils discutaient ensemble, ou bien jouaient aux cartes. Quelques fois, Ghalard avait même accepté de l'entraîner dans la salle d'armes. Mais Alstair était mortifié par l'incident du couloir, et il n'était pas question qu'il paraisse devant Ghalard avant une petite éternité. Ou au moins jusqu'à l'aube.
Ses pensées dérivèrent vers Calliopé et Idalia. Les deux avaient fait de la Prose devant lui. Idalia était la fille d'une riche famille ; elle appartenait au même monde que lui, bien plus que quiconque à l'Académie. Elle avait été invitée à plusieurs reprises au palais, avec son père, lorsqu'Alstair était enfant – il suspectait que Déneza avait inscrit depuis longtemps son nom sur la liste de ses possibles futures fiancées –, et c'était tout naturellement qu'ils s'étaient assis l'un à côté de l'autre le premier jour de cours, des années auparavant. Alstair savait tout d'elle, et elle rien de lui, ou le peu qu'il avait consenti à dévoiler, le plus infime encore qu'elle avait deviné. Elle était ce qui se rapprochait le plus d'une amie. Que ce serait-il passé si c'était elle qui s'était retrouvée à la place du poète ? Il n'osait y songer. Si l'incident qui avait eu cours à l'Académie avait été remonté au conseil, le prince ignorait tout de ce qui avait pu se dire, mais l'affaire paraissait avoir été étouffée.
Et puis, il y avait Calliopé, Calliopé qui avait fait de la Prose sur lui. Alstair savait que si cela venait aux oreilles de son oncle, elle ne bénéficierait pas de la même miséricorde qu'Idalia. L'imaginer gisant sans vie sur le sol de la salle du trône lui donna la nausée.
Par les Muses, tout cela hurlait dans son esprit comme une tempête, et son cœur ne cessait de battre plus vite, plus fort, au point que les pulsations couvrirent tous les autres bruits.
Effacé, le son de la pluie qui tambourinait par sa fenêtre entrouverte, effacé, le martèlement des bottes de la garde qui effectuait des rondes dans les couloirs.Alstair sursauta quand un froid soudain envahit son front. Une ombre masqua la lueur de la lune qui se déversait à travers les carreaux.
— C'est moi, émit une petite voix.
— Phénix !
Il accueillit l'ombre dans ses mains en coupe, son corps de ténèbres doux comme de la soie.
— Comment va Calliopé ?
— Elle va bien. Mais elle s'inquiète pour toi. Tu n'es pas revenu en cours.
— Dis-lui que je vais bien, moi aussi.
Un souffle glacé pulsa entre ses mains.
— Ce n'est pas vrai, votre seigneurie.
— Je vais bien. C'est mon oncle qui a été visé. Dis-lui cela.— Je ne parlais pas de ce qu'il s'est passé ce soir.
Alstair se figea. Comment savait-il ?
— Je suis désolé, ajouta l'ombre.
— Je ne veux pas de ta pitié.
Phénix eut un feulement. Sa silhouette ondoya comme de l'eau et Alstair resserra par réflexe son étreinte, de peur qu'il ne s'échappe et le laisse seul.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...