Chaque coup d'épée qu'Alstair assénait au mannequin était ridicule. Trop faible, trop superficiel, trop vain. D'estoc ou de taille, le jeune prince pouvait frapper autant de fois qu'il le voulait le madrier et le sac de paille dont il était affublé, cela ne servait à rien, pas la moindre déchirure ne marquerait la toile ni le bois. Même sa rage ne s'évanouissait pas. Au contraire. Chaque seconde qui passait la faisait croître. Son impuissance la faisait croître.
— Votre épée n'est pas affûtée, Altesse.
La voix de son Chevalier avait retenti sous le haut plafond de la salle d'armes, en haut de la coursive. Ce qu'il s'était passé une poignée d'heures plus tôt dans la chambre lui sauta à la gorge et, pendant une seconde, Alstair ne put plus respirer.
Il leva les yeux vers son protecteur. À travers les rais de lumière qui tombaient des minces fenêtres, percées tout en hauteur, Alstair peinait à discerner sa silhouette. Tant mieux. Il n'était pas certain d'être prêt à croiser son regard.
— Je sais, siffla-t-il en abattant encore et encore sa lame, qu'elle ne l'est pas ! Et tu sais bien que personne ne m'en donnera une autre !
Ghalard entreprit de descendre l'escalier de pierre qui permettait de se rendre sur l'espace d'entraînement – et ses bottes ne firent aucun bruit lorsqu'elles s'enfoncèrent ensuite dans le sable dont était recouvert le sol. Alstair fit comme s'il ne voyait pas la raideur dans ses pas, la crispation sur ses traits. Il savait que Ghalard ne tenait pas à ce qu'il l'évoque, et s'il l'avait fait, il lui aurait répondu que cela n'avait pas la moindre importance.
— Ce que je voulais dire, monseigneur, c'est que cette épée est faite pour s'entraîner au combat, et certainement pas pour éventrer ce malheureux mannequin.
Alstair recula. D'un revers de manche, il chassa la sueur qui maculait son front et ses cheveux qui y retombaient en désordre. Il n'avait pas pris la peine de se changer, et ses vêtements de cour, alourdis de fils d'or et de velours, n'étaient pas conçus pour une telle activité.
— Très bien, répliqua le prince en tendant sa main libre. Donne-moi ton épée, alors, que je puisse régler son compte à cette maudite cible.
— Je crains de ne pouvoir accéder à votre requête. Vous connaissez...
— ... les règles, oui. Et je ne vois pas en quoi mettre entre mes mains une lame un tant soit peu aiguisée constituerait un danger à ma vie, Ghalard. Explique-moi donc par quel prodige j'en viendrais à confondre ce sac de paille et mon propre corps.
Le Chevalier eut un fin sourire.
— Je n'ai pas fixé les règles, Altesse.
— En effet. Et si tu es mon Chevalier, je ne vois pas pourquoi tu persistes à obéir à mon oncle.
L'amertume dans sa voix révélait les sous-entendus qui s'y cachaient, mais si son Chevalier l'entendit, il ne laissa rien paraître.
— Pour votre sécurité. Vous le savez très bien.
Alstair se mordit l'intérieur de la joue. Sa sécurité. Son oncle se fichait de sa sécurité. Ses poings se crispèrent sur la garde de son épée, et il sentit les délicats entrelacs du pommeau s'incruster dans sa chair. C'était douloureux. Mais la douleur, après tout, était sa compagne constante, depuis toujours. Ses yeux se posèrent sur la cape immaculée de Ghalard. Il aurait voulu lui demander. Lui demander s'il avait mal, lui aussi. Mais il ne pouvait pas poser cette question à son Chevalier.
Il comprenait pourquoi son oncle avait châtié Ghalard à l'abri de son regard. C'était une torture infiniment plus douloureuse. Car il ne saurait jamais.
VOUS LISEZ
Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...