Chapitre 18

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Il avait fallu de longues minutes à Lord Innis pour calmer la classe. Entre toutes les mains, La Muse foudroyée, et sur toutes les lèvres, les mêmes mots. De la Prose ! Alstair, assis au fond de la classe, avait été le seul à rester impassible au milieu du désordre ambiant. Mais même à présent que le cours approchait de la fin, Calliopé percevait encore les murmures de ses camarades.

Flann, non loin d'elle, lisait en cachette l'ouvrage, insensible au cours qui se déroulait devant lui. Il avait arraché un chapitre entier pour le feuilleter discrètement. Quoi ? avait-il dit devant son air courroucé. Vu le livre... Calliopé aurait trouvé mille objections à ce propos, mais elle avait décidé de se concentrer sur le cours de littérature, pour une fois. Le professeur allait rendre les copies de leur précédent examen à la fin du cours, et si elle ne pouvait plus rien faire pour sa note, peut-être qu'écouter Lord Innis pourrait lui attirer ses faveurs pour les prochaines dissertations...

— Jeunes gens, vous n'ignorez pas que les résultats de spécialisation approchent. Le jour du solstice d'hiver, vous obtiendrez vos affectations.

Cela suffit à apaiser les dernières rumeurs qui agitaient les rangs. Calliopé sentit une pointe d'appréhension se ficher dans son ventre. Le professeur tassa avec des gestes lents, minutieux, les copies qui étaient posées sur le bureau.

Calliopé ne se faisait pas d'illusion. Elle savait qu'elle avait lamentablement échoué à cet examen. C'était celui où elle était sortie pour rejoindre Alstair dans le couloir, après quoi ils s'étaient rendus à la Petite Tour.

— Vos résultats théoriques, ajouta-t-il en brandissant les feuilles, ainsi que l'épreuve pratique, seront particulièrement pris en compte, comme vous le savez. Mais l'Académie a à cœur de vous accompagner du mieux possible vers vos souhaits de carrière.

Dans l'ombre de son bureau, Calliopé serra les poings.

— Sur ce, il est temps de vous rendre vos dissertations. Je crains que nombre d'entre vous ne soient passés à côté d'une métaphore essentielle...

Calliopé cessa d'écouter. Le professeur circulait entre les rangs, déposant d'un geste las les copies sur les bureaux.

Les mots de l'enseignant tournaient en boucle dans son esprit.

Lord Phrastos avait été clair : elle avait jusqu'au solstice pour faire ses preuves. Mais il approchait à grands pas : dans un mois et demi, elle aurait scellé son destin. Avec tout ce qu'il s'était passé, elle n'avait pas vraiment eu le temps ou l'envie d'étudier sérieusement.

Un bruissement de feuille la ramena au moment présent.

Calliopé fixa la copie barbouillée d'encre rouge vif. De sa propre plume, quelques paragraphes. Sur le bois noir du pupitre, le contraste était saisissant. Il lui semblait que la classe entière pouvait voir les fruits de son incompétence.

— Calliopé, votre production est très loin d'être suffisante. Il est grand temps de vous mettre au travail.

Elle ne dit rien, les yeux rivés à l'encre écarlate. Dans la salle, il lui sembla percevoir un frémissement moqueur. Devant son manque de réaction, l'enseignant s'éloigna avec un soupir, puis sa voix coupa l'agitation de la classe.

— Alstair. Félicitations, c'est un sans faute.

Alstair attrapa sa copie d'un geste nonchalant, et la posa sur son bureau sans même lui jeter un regard.

Sans faute. Bien sûr. Le parfait, l'inaccessible, l'insupportable petit prince de Brythénia.

Calliopé crispa les poings. Il n'y avait même pas d'enjeux pour lui. Il possédait le privilège de savoir de quoi demain serait fait, le luxe de ne jamais avoir à s'inquiéter de trouver sa place. Ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant