Le son de la pluie, étouffé par la roche du palais, parvenait difficilement à ses oreilles, mais dès qu'il relevait la tête, Alstair attrapait l'écho du ciel lourd et gris qui surplombait Airdehaven.
Il pleuvait sans discontinuer depuis des jours.
Les feuilles devant le jeune prince demeuraient désespérément blanches. Son dos l'élançait encore, mais la douleur était sa compagne constante depuis toujours, après tout. Non, c'était autre chose qui empêchait sa plume de courir sur le papier. Ses pensées peinaient à accrocher la réalité.
Peut-être parce qu'il pleuvait, ou parce qu'il avait manqué le rendez-vous de leurs lanternes, Alstair songeait à Calliopé. Au trou noir qui s'étendait là où elle dormait jadis, aux ruines de ce qui avait été sa maison. Aux bottes défoncées qu'elle avait été obligée de porter, aux éraflures de ses collants, aux ourlets cent fois rapiécés de ses robes. Il la revoyait rentrant du théâtre sous des trombes d'eau, avec ses jupons charriant les feuilles mortes sur son passage, ses cheveux mouillés, châtain clair, collés à ses joues, et la façon dont, dans la voiture, une goutte d'eau avait dévalé son cou.
Alstair releva la tête, passablement déconcentré par le flot de ses pensées. Sa plume était suspendue au-dessus d'une phrase à demi rédigée, et il n'avait aucune idée de la façon dont il avait envisagé de la finir.
Le prince aurait voulu pulvériser le mobilier luxueux de ses quartiers. La pièce de son petit bureau était entièrement tendue de tapisseries émeraude, entrelacées de fils d'or délicats qui figuraient des motifs végétaux. Il les avait toujours appréciés, mais il les haïssait, en cet instant, comme il haïssait la vue de la fenêtre entrouverte donnant sur la ville qui lui était interdite. Même la brise qui taquinait son visage était un rappel trop cruel.
Son oncle avait déclaré que le prince y resterait consigné jusqu'à tant qu'il se rende compte de son inconscience. Il avait posté des gardes dans le couloir, Ghalard ne le quittait pas d'une semelle, et ses professeurs de l'Académie avaient envoyé une liste de toutes leurs exigences pour la prochaine semaine. Alstair ne pouvait s'empêcher de se demander si le Régent cherchait à le punir davantage encore, ou à dissimuler les bleus qui constellaient son dos et qui le faisaient souffrir au moindre mouvement. Il optait pour la première possibilité ; son oncle savait qu'Alstair garderait le secret de la seconde.
Alstair plissa tout à coup les yeux.
Là, dans les ombres creusées par le rideau, il aurait juré...
— Altesse, le réprimanda Ghalard. Concentrez-vous, je vous prie. Il ne vous reste qu'une heure avant de devoir vous préparer pour la réception, et vous avez à peine commencé votre traduction.
Il pivota pour foudroyer son Chevalier du regard. Il se tenait immobile dans son dos, à quelques pas de lui. Suffisamment près pour qu'Alstair n'ait aucune chance de faire semblant de travailler. Oh, par la plume, il le détestait.
Depuis qu'il avait été convoqué au palais, Ghalard ne s'adressait à lui guère plus que pour le réprimander. Et encore plus depuis qu'il les avait menés, lui et son oncle, jusqu'à l'imprimerie. Alstair n'avait pas été autorisé à pénétrer à l'intérieur – il les avait guidés jusqu'au bâtiment et Ghalard l'avait enfermé dans le carrosse –, mais il avait bien vu la mine sombre de Chevalier et les sourcils froncés du Régent lorsqu'ils étaient ressortis. Aucun d'entre eux n'avait décroché un mot sur le chemin du retour, et Alstair avait été renvoyé dans sa chambre par un ordre sec de son oncle.
— Parle-moi de l'imprimerie, jeta Alstair en faisant mine de retourner à son travail. De cette chose. Qu'est-ce que c'est ?
Ghalard ne répondit pas.

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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...