Le lendemain, lorsque la cloche annonçant le premier cours sonna, Calliopé décida de demeurer cloîtrée dans sa chambre. Elle pourrait toujours prétexter une migraine. Elle resta assise sur son lit, fixant avec désespoir la paire de bottes ravagée qu'elle avait jetée au pied de celui-ci la veille. Sa mésaventure lui avait valu de rester à l'infirmerie jusqu'au dîner, à l'écart de ses camarades, et elle avait rejoint sa chambre sur la pointe de ses collants effilochés. Mais elle ne pouvait décemment pas se présenter au cours de rhétorique avec des semelles béantes, elle serait la risée de toute l'Académie.
Phénix, lové dans l'ombre du petit bureau, émit un soupir sonore.
— Calli...
— Je ne veux pas de tes reproches.
— Je n'allais rien te reprocher du tout ! J'allais te dire que tu devrais au moins sortir petit-déjeuner.
— Je n'ai pas faim, répliqua-t-elle.
C'était faux, et Phénix devait avoir entendu les gargouillis de son estomac qui résonnèrent au même moment, car il laissa s'échapper un grognement. Mais avant que Calliopé ne puisse répondre, on frappa à la porte, et son ami détala sous le lit.
— C'est lui, chuchota-t-il. Le prince. Et son Chevalier.
Les coups reprirent et il s'enfonça davantage dans les ombres. Calli se mordit la lèvre, son cœur battant à toute vitese. Que lui voulaient-ils ? Ses mains tremblèrent tandis qu'elle réarrangeait ses cheveux. Dans l'étroit miroir qui ornait un des murs de sa chambre, elle aperçut sa propre silhouette, flottant dans une robe trop grande, ses bas élimés laissant apparaître par intermittence sa peau.
— Un instant ! s'exclama-t-elle d'une voix chevrotante.
Phénix émit un grognement à peine audible.
— Quoi ? rétorqua-t-elle à voix basse.
— Il n'y a franchement pas grand-chose que tu puisses faire pour te rendre plus présentable.
Elle foudroya les ténèbres qui s'étendaient sous son matelas du regard. Se présenter devant le prince héritier sans chaussures ? Calliopé était mortifiée. Avec un peu de chance, il n'y ferait pas attention. Les personnes de son milieu n'observaient jamais vraiment les gens comme elle, n'était-il pas ?
Elle prit une profonde inspiration et déverrouilla le loquet, essayant tant bien que mal de dissimuler le bas de son corps derrière la porte. Alstair se tenait dans l'embrasure, l'ombre de son Chevalier derrière lui. Il tenait dans ses mains une liasse de feuilles, et, sous son bras, une grosse boîte recouverte de velours vert, le visage était impassible. Elle avait conscience qu'ils ne s'étaient pas quittés en très bons termes la veille.
— Votre seigneurie, salua-t-elle en espérant le faire sourire.
Tandis qu'elle grimaçait en son for intérieur, le visage du prince, lui, resta aussi lisse que du marbre.
— Puis-je entrer ?
Elle demeura interdite.
C'était inscrit dans le règlement de l'Académie. Les garçons n'étaient pas censés entrer dans les chambres des filles, et inversement. Calliopé supposait même que le prince héritier n'était pas censé entrer dans la chambre d'un de ses camarades tout court. Ses appartements privés se trouvaient un étage au-dessus et elle ne l'avait jamais vu s'attarder en ces lieux.
Avant qu'elle ne puisse esquisser une réponse, il s'engouffrait déjà à l'intérieur et elle n'eut d'autre choix que de se décaler pour le laisser passer. Le Chevalier, demeurant à l'extérieur, referma la porte. Calliopé piétina sur le sol glacé, n'osant plus bouger de peur qu'il note l'état dans lequel elle se trouvait. Il lui semblait tout à coup que plus rien, ici, ne lui appartenait.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...