Il pleuvait tant, à Airdehaven, que Calliopé, en sortant du passage des cuisines, fut surprise de voir un rayon de soleil éclairer les mousses qui s'épanouissaient sur la façade de pierre sombre. Elle décida d'y voir un bon présage. Accroché à la colline, un escalier encore humide plongeait vers les entrailles de la cité.
Lors du cours d'histoire, Calliopé avait prétexté un violent mal de ventre et Alstair s'était empressé de se lever, décrétant qu'il l'emmenait à l'infirmerie. Le professeur n'avait pas osé s'y opposer, ou peut-être supposait-il que le Chevalier prendrait le relais. Quoi qu'il en soit, lorsqu'Alstair et Calliopé avaient disparu dans le couloir, celui-ci était désert. Calliopé s'était dépêchée d'aller chercher sa cape, Alstair avait enfilé des vêtements luxueux, mais moins reconnaissables que son uniforme, et ils avaient couru à en perdre haleine jusqu'aux cuisines. Ils avaient dû arriver peu avant que l'on ne commence à préparer le dîner, car, hormis une fille de cuisine qui était restée interdite en apercevant Alstair, ils n'avaient croisé personne. En s'engouffrant derrière la porte de service, le jeune prince avait posé un doigt sur ses lèvres, et la fille de cuisine avait acquiescé en gloussant et en rougissant.
Le soleil se couchait tôt à cette période de l'année et les cours finissaient en milieu d'après-midi, afin que les étudiants puissent profiter d'un peu de lumière pour faire leurs devoirs. Si le but était avant tout d'économiser des bougies, Calliopé en était reconnaissante : elle aimait plus que tout sentir la caresse du soleil sur son visage. Ils avaient encore une heure avant que la nuit ne tombe.
Calliopé contempla la ville en contrebas : l'escalier donnait plein ouest. On apercevait, en tournant un peu la tête vers la falaise qui se dressait au sud, la distinction nette entre les quartiers nobles et la vieille ville, de part et d'autre d'un large canal. La pierre blanche et les avenues larges et ordonnées d'un côté, les ruelles qui serpentaient sous les tuiles sombres et la pierre noire de l'autre – la mer au bout. L'école avait été construite il y a des siècles et trônait sur les vieux quartiers comme un joyau.
— Où allons-nous ? demanda Alstair.
— Où vous voulez, votre seigneurie.
— Ne m'appelle pas comme ça ici ! C'est dangereux.
— Seulement ici ?
— Par la plume, tu es désespérante.
Ils descendirent l'escalier vertigineux dans un silence certain.
La scène était surréelle, et chaque marche ancrait un peu plus l'absurdité de la situation dans l'esprit de Calliopé.
Je suis à Airdehaven. Avec le prince héritier.
Il m'a entendu faire de la Prose.
Ils gagnèrent lentement la ville, grouillant d'agitation. Les ruelles pavées alentour étaient encore détrempées de pluie, que le soleil peinait à sécher. Les venelles tortueuses débouchaient sur une multitude de placettes, impasses et canaux. C'était au pied de l'Académie qu'on trouvait les échoppes les plus renommées de la cité : joailliers, ébénistes, modistes, cafés où se pressaient le tout-Airdehaven. Calliopé avait passé de longues heures, lors de ses moments de temps libre, à flâner, le nez collé aux vitrines scintillantes, les mains parcourant les étoffes précieuses garnissant les étals.
Plus d'une fois, elle s'était laissée caresser par l'idée de voler une bague, ou un petit pain fourré au miel. Elle rougit en se rappelant qu'elle se trouvait à côté du prince. Ce n'était certainement pas le moment d'avoir de telles pensées. D'ailleurs...
— Est-ce que tu ne devrais pas cacher ton visage ?
Alstair haussa les épaules.
— Il y a du soleil. Dissimuler mon visage attirera bien plus l'attention que l'inverse, crois-moi.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...