Chapitre 27

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Elle avait tout fichu en l'air. Tout détruit.

Sa vie, ses espoirs, ses rêves.

Il ne restait plus rien.

Calliopé ne parvenait plus à respirer. Il n'avait fallu qu'une seule phrase, une seule percée de Prose, pour que ce qu'elle avait craint toutes ces années, son pire cauchemar, prenne vie.

Ghalard avait fendu la foule en quelques enjambées et s'était posté à leurs côtés. Il avait dégrafé sa cape et l'avait jetée sur les épaules du prince. Son regard n'avait pas quitté Calliopé, ni sa main libre le pommeau de son épée.

De ce qu'il s'était passé ensuite, Calliopé n'avait rien vu. Elle avait gravi l'escalier de marbre avant que quiconque ne puisse la retenir, s'avisant trop tard qu'elle aurait plutôt dû tenter de s'échapper par la porte de service qu'elle avait empruntée tant et tant de fois. Tout ce que l'Académie contenait d'élèves était soit en cours, soit réuni dans le hall. Les couloirs étaient déserts et l'aile des chambres silencieuse.

Dans le brouillard poisseux et l'horreur qui appesantissaient son esprit, Calliopé tituba jusqu'à sa propre chambre. Elle ferma le battant dans son dos, verrouilla le loquet.

Le parquet craqua sous son poids lorsqu'elle y tomba à genoux.

Un haut-le-cœur la secoua. Elle aurait voulu pleurer, mais ses yeux demeuraient obstinément secs. Son cœur, en revanche, pulsait à grands coups dans sa poitrine. Il criait. Il hurlait.

Elle avait tout fichu en l'air. Tout détruit. Elle ne l'avait pas fait exprès, mais le résultat était le même. Que se passerait-il, maintenant ?

Elle ne sut combien de temps elle resta là.

Un discret coup derrière elle la fit se retourner en sursaut. Hébétée, elle fixa Ghalard qui se tenait dans l'embrasure. Par quel prodige avait-il déverrouillé la serrure ? Elle supposait que si elle avait réussi à ouvrir la porte de l'imprimerie d'Arzhul avec la Prose, il était tout à fait capable de formuler un sortilège. Le Chevalier s'approcha d'elle et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Elle s'en saisit avec méfiance – ne venait-elle pas de faire du mal à Alstair ? De faire de la Prose devant l'Académie entière ? La question flotta quelques secondes au milieu de ses pensées écarquillées, avant de se dissoudre.

— Je suis venu vous avertir que Lord Kennan a fait quérir la Garde.

Cette phrase, prononcée d'un ton égal, mit plusieurs secondes à atteindre son esprit. Lord Kennan. Le conseiller d'Alstair. Ses jambes tremblantes, aussi molles que du coton, ne l'auraient pas supportée sans la poigne du Chevalier.

— Je peux... je peux tout arranger, balbutia Calliopé.

— Non, vous ne le pouvez pas.

— Le trou noir de l'imprimerie... Il a disparu. Je l'ai refermé.

— C'est impossible.

Calliopé se mordit l'intérieur de la joue. Hésita.

— Lorsque je me suis rendue à Airdehaven, le jour où les livres d'Orphen ont brûlé... J'ai vu Lord Arzhul. Il m'a tout expliqué. Phénix. Les trous noirs. Il m'a appris que j'en étais la cause, il m'a dit que je pouvais essayer... et j'ai réussi à le faire disparaître.

C'était peut-être risqué de le lui avouer. Mais elle était persuadée qu'il en savait déjà au moins autant qu'elle, si ce n'était davantage. Le Chevalier secoua la tête.

— Personne ne peut refermer ces trous noirs, Calliopé.

— Mais...

— Personne. Vous ne pouvez vous fier aux dires de cet homme !

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant