Chapitre 20

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« LES MUSES ONT-ELLES ÉTÉ FOUDROYÉES ?

Cela n'aura échappé à personne. L'Imprimeur Arzhul a fait naître de ses presses un tout nouvel ouvrage ; abomination ou chef-d'œuvre ? L'impression se double d'une série de représentations inédites dans les salons – oui, des représentations d'un texte en Prose ! Les risques sont grands, et c'est justement ce qui attire les foules, qui se pressent chaque après-midi dans les hôtels particuliers.

La Muse foudroyée : texte avant-gardiste et éloge sublime de l'interdit pour les uns, écrit voué aux flammes pour les autres, il fait couler beaucoup d'encre et s'élever de nombreux cris parmi la gendelettrerie.

Orphen, jeune prodige de l'Académie – que ses détracteurs se plaisent déjà à qualifier de littératurier –, dresse le portrait sans concession d'un homme qui, en proie à l'amour le plus fou, fait usage de la Prose pour sauver l'être aimé, injustement condamnée. La Prose, utilisée pour faire le bien ! Les règles des Muses, si chères à l'Académie, ont été balayées.

Le texte interroge, à l'heure où les royaumes voisins rendent l'apprentissage de la lecture et de l'écriture obligatoire, et où les accidents de Prose se multiplient au sein de notre nation. Une question demeure : comment un tel texte a-t-il pu obtenir un privilège ? »

Calliopé repoussa la coupure de journal qu'Alstair lui avait glissée un instant plus tôt, à la pause. Sa respiration se précipitait plus qu'elle ne l'aurait voulu.

Dans la salle de classe surchauffée par les heures d'étude, l'article était sur toutes les lèvres. Si d'ordinaire l'acoustique des salles était conçue de façon à porter la voix, aujourd'hui, le vacarme était infernal. Un brouhaha sans nom résonnait sous les voûtes de pierre et Calliopé sentait nettement un mal de crâne poindre. Elle se massa les tempes.

Voilà une semaine que La Muse foudroyée était sortie des presses, et presque aussi longtemps qu'elle s'entraînait matin et soir avec le prince et son Chevalier. Les progrès de Calliopé étaient, à défaut d'être fulgurants, au moins constants. Chaque séance la laissait éreintée, et elle suspectait qu'Alstair était fatigué, lui aussi. Il ne se plaignait pas, pourtant, des réveils aux aurores imposés par Ghalard, même quand il se rendait au palais dans la foulée, comme il l'avait fait ce matin.

— Il y a autre chose, fit Alstair dans un chuchotement à peine audible. Une chose qui n'est pas encore dans les journaux. Orphen a été arrêté.

— Arrêté ? Par qui ?

Calliopé se rendit compte de la stupidité de la question à l'instant où elle franchit ses lèvres. Alstair eut un haussement de sourcils.

— Mais Orphen n'est pas responsable ! s'insurgea Calliopé. C'est Arzhul qui lui a commandé ce texte, non ?

— Pour l'heure, Arzhul ne peut pas être arrêté. Il est trop puissant, et trop influent parmi les Imprimeurs même s'il y compte aussi des ennemis.

Calliopé reposa ses yeux sur l'article, malgré elle. Elle avait grandi dans une imprimerie. Elle savait qu'un homme comme Arzhul rapportait beaucoup à la corporation, et par là au royaume. Son influence, en effet, devait être considérable, aussi contestables que soient ses actions, et la guilde le défendrait bec et ongles. Et pour ce qu'elle en savait, la couronne avait tout intérêt à garder le contrôle sur ceux qui étaient responsables de la circulation de textes dans le royaume.

— Est-ce parce qu'il est influent qu'Arzhul a pu obtenir l'autorisation de faire imprimer un ouvrage au contenu si sensible ?

Chaque texte passait entre les mains d'une commission royale avant d'être imprimé et l'article qu'elle venait de lire touchait un point intrigant.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant