Chapitre 2

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Son pied, maladroit, buta contre la carrosserie. Elle se serait sûrement effondrée sur la banquette si Alstair n'avait pas attrapé sa main. Un instant, il n'y eut plus que le métal froid de ses bagues, la douceur de son habit de soie qui bruissait contre sa peau. Il la lâcha.

Calliopé se laissa lourdement tomber en face de lui et, à peine quelques secondes plus tard, la voiture s'ébranla au galop. Pour ne pas croiser son regard, elle détailla l'habitacle. Il était tout entier, jusqu'aux coussins disposés sur les banquettes, tendu d'un velours vert qui lui rappelait les forêts de pins s'étendant au sud d'Airdehaven, par-delà les montagnes.

La jeune fille observa le rideau, qui avait été repoussé pour faire entrer l'air nocturne. Son étoffe, taillée dans une matière souple et douce, accrochait la lumière. Au-dehors, quelques braseros répandaient leur chaleur rougeoyante sur les façades, et de rares chandelles aux fenêtres faisaient pétiller la nuit, comme le vin d'Albarion qu'elle avait vu sur les lourds plateaux d'argent du foyer.

C'était la première fois qu'elle montait dans un carrosse. La première fois que le monde filait ainsi autour d'elle à cette allure, d'ombres et de lueurs mêlées.

Alstair posa son coude sur la fenêtre ouverte et elle n'eut d'autre choix que de détourner les yeux. Il contemplait les bagues à ses doigts d'un air nonchalant, et Calliopé ignorait comment l'imiter.

Elle aurait dû saisir l'occasion pour lui demander de ne rien dire. Elle avait rendez-vous le lendemain avec le directeur de l'Académie : ce n'était pas le moment de se faire remarquer. Mais dès qu'elle tentait d'ouvrir les lèvres, elle se ravisait, sa gorge trop serrée pour prononcer le moindre mot. Dans le silence qui s'éternisait, la voix d'Alstair tomba comme un couperet.

— Pourquoi ?

Calliopé se raidit.

— Pourquoi ?

Le mot sortit, rauque et hésitant, si peu naturel que Calliopé se crispa davantage.

Pour seule réponse, il embrassa d'un geste de la main l'habitacle.

— Ah, fit-elle. Je voulais comprendre... quelque chose.

Le jeune prince ne parut pas se satisfaire de sa réponse maladroite. Il patienta, dans ce silence attentif et plein, caractéristique de ceux qui maîtrisaient l'art de la parole. Ce n'était pas un silence que Calliopé savait contrôler, et elle doutait d'y parvenir un jour.

— Je voulais comprendre, poursuivit-elle, pourquoi Orphen a autant de succès. Je voulais comprendre... comment faire.

— Et as-tu compris ?

Elle demeura muette. Alstair, lui, se rencogna contre la banquette. Ses doigts tapotèrent doucement le rebord de la fenêtre.

— Cela m'intéresse, ajouta-t-il. Quelles sont tes théories ?

— Eh bien... La tragédie est un genre à la mode.

— Orphen s'est d'abord illustré avec ses poésies dans les salons.

— Je sais. Mais...

Elle pensa à ce que Phénix lui avait soufflé dans la rue. Seules les Muses savaient où il était passé. Elle ne l'avait pas vu monter à bord, mais peut-être s'était-il faufilé dans les ombres de la voiture.

— Mais ?

— L'amour, répondit-elle. Tout le monde aime l'amour.

Alstair la fixa un long moment de ses yeux de ciel, son visage n'exprimant aucune émotion. Lui n'était certainement pas du genre à apprécier les histoires d'amour, songea-t-elle. Il préférait sans doute les récits de batailles et les textes de loi dont il s'abreuvait lors de ses visites au palais.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant