Chapitre 21

36 9 30
                                    

Calliopé ne parvenait plus à respirer. Un vertige la gagnait de seconde en seconde.

Autour d'eux, le vacarme avait cessé. De fait, les alentours de la place étaient quasiment déserts, à présent.

— Dépêchez-vous, avant que la garde ne nous remarque. Il ne fait pas bon pour nous deux d'être ici, mademoiselle, vous le comprendrez aisément.

Lui était l'Imprimeur des livres qui venaient d'être brûlés – l'homme responsable de tout ce chaos –, et elle une élève de l'Académie qui n'était pas censée se trouver là. Oui, ce n'était pas bien difficile à concevoir. Sa cape dissimulait son uniforme, mais elle ne tenait pas à prendre des risques.

Arzhul n'avait pas ôté sa main de son bras et elle n'eut d'autre choix que d'avancer.

— Ne traînez pas ! les héla un soldat en s'avançant vers eux. On évacue.

Arzhul raffermit son emprise sur son coude lorsqu'elle tressaillit.

— Bien sûr, répondit-il. Cette jeune fille a fait une mauvaise chute dans la bousculade.

Ils passèrent les gardes, mais, bien vite, une voix retentit.

— Attendez.

Calliopé se raidit pendant qu'Arzhul pivotait vers le garde qui les avait interpellés. Un instant, elle contempla la possibilité de se défaire de sa poigne et de partir en courant. Mais désormais, sa décision était prise. Elle allait comprendre ce qu'Arzhul mijotait, peu importe combien il l'effrayait.

— C'est vous. L'Imprimeur.

Arzhul décocha un coup d'œil vers la place déserte que le garde désignait. Il n'y avait plus la moindre trace du brasier, la moindre trace de ses livres. Ils avaient été engloutis.

— C'est moi.

— Que faites-vous ici ?

— Il ne m'a pas été interdit de regarder ce triste spectacle, que je sache.

— Mais ce qu'il s'est passé ensuite... Vous et vos livres maudits, vous avez causé cette chose !

— Quelles preuves avez-vous ?

Le garde crispa les poings.

— Je vous en prie, poursuivit Arzhul en désignant l'étendue sombre. Avez-vous seulement la moindre idée de ce dont il s'agit ? Ce n'est sûrement qu'une plaisanterie de mauvais goût, voilà tout.

La Prose brûlait encore la gorge de Calliopé, attisée par la béance qui s'ouvrait à quelques mètres de là, et elle sentit son cœur chavirer.

— Puisque vous semblez si bien renseigné sur mon compte, vous devez savoir que je n'ai de don ni pour l'Art, ni pour la Prose.

Arzhul plongea une main dans sa poche et Calliopé se raidit au souvenir du pistolet dont il l'avait menacée. Mais il en sortit une bourse – le tintement qui s'en échappa lorsqu'il la tendit au garde ne laissa aucun doute sur son contenu.

— Allons, laissez-moi passer.

Après un instant d'hésitation, le garde s'empara de la bourse, et s'effaça pour les laisser gagner la ruelle la plus proche.

Lorsque l'Imprimeur lâcha son bras, Calliopé ne put s'empêcher de laisser s'échapper un soupir de soulagement. Arzhul affichait un air tranquille, comme s'il ne venait pas d'ouvrir un trou béant dans la plus grande place de la ville, comme s'il ne venait pas d'avoir été à deux doigts de se faire arrêter par la Garde.

— Comment allez-vous ? demanda-t-il.

— Bien, répondit-elle d'un ton acerbe. Et vous ?

— Ce n'est pas moi qui ai manqué de mourir piétiné.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant