Chapitre 31

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La salle du trône bruissait déjà de murmures. Ils se glissèrent par les portes grandes ouvertes, parvenant en rumeurs étouffées aux oreilles d'Alstair lorsqu'il mit le pied sur la terrasse qui y menait. La réunion avait déjà commencé officieusement, ou alors ses conseillers se livraient-ils à ces interminables disputes dont ils avaient le secret. Alstair n'était en retard que de quelques minutes, mais il semblait au prince que son oncle prenait un malin plaisir à ce que les conseils démarrent à des heures indues. Rien que pour pouvoir ensuite le réprimander pour son manque de rigueur. Alstair avait fait aussi vite que possible, mais il ne pouvait décemment pas se présenter à son conseil vêtu de son uniforme, sans parler de déambuler dans le palais dans cette tenue. Ici, il était le prince héritier, et non un élève de l'Académie.

Et puis, il avait eu besoin de temps. Il n'était pas prêt à affronter son oncle ; il ne l'était pas le moins du monde. Ghalard avait attendu à ses côtés, dans le salon de ses appartements, pendant qu'il ordonnait, en vain, à ses mains de cesser de trembler, à son visage de regagner des couleurs. Alstair haïssait être si peu maître de son corps. Quel piètre roi il ferait, lorsque le moment viendrait. On se moquerait de lui sur tout le continent.

Les gardes postés de part et d'autre des portes étaient aussi immobiles que des statues. Ils l'avaient vu, pourtant, dissimulé comme un enfant dans les ombres, en témoignait la façon dont leurs lances qui barraient l'accès à la pièce s'écartèrent sans un bruit.

Dans son dos, la main de Ghalard le poussa doucement en avant. Alstair prit une profonde inspiration et suivit son impulsion, chaque pas le menant à l'entrée de la salle plus difficile que le précédent.

Son oncle était là, installé dans son fauteuil d'ébène. Il faisait face à la porte et son aura sombre, brûlante, ensevelissait Alstair sous une chape de plomb – bientôt il ne sut plus comment respirer. Ses conseillers, occupés à disserter sur il ne savait quoi, ne l'avaient pas encore aperçu. Broden ne fit rien pour les en avertir.

Alstair avait l'habitude de ne pas être vu. Il allait se racler la gorge pour annoncer sa présence lorsque la voix de Ghalard résonna derrière lui, puissante, inattendue, inespérée.

— Son Altesse Royale, le prince Alstair de Brythénia.

Le silence tomba comme un couperet et Alstair sentit le poids invisible de sa couronne peser tout entier sur lui. Il dut réunir toute sa volonté pour ne pas sourire, pour ne pas se tourner vers Ghalard et lui adresser un remerciement silencieux. Tous, ici, avaient conscience que la prise de parole du Chevalier était un peu trop audacieuse. Alstair se redressa un peu pendant que les regards convergeaient vers lui et que ses conseillers se levaient pour le saluer.

— Entrez, Altesse, fit Denéza avec un sourire. Nous vous attendions.

Alstair ne bougea pas d'un pouce. La crainte et la rage avaient bataillé longuement en lui : cette dernière venait de l'emporter. Maintenant qu'il se tenait devant son oncle, porté par le bref coup d'éclat de Ghalard, il n'avait plus qu'un seul désir. Rappeler à tous qui il était.

— De quoi parliez-vous ?

Sa conseillère se tourna vers le reste de l'assemblée, guettant une approbation. Alstair vit le visage de son oncle s'assombrir. Un avertissement – le prince n'en avait cure.

— Nous discutions de ces trous noirs, Altesse, expliqua Lord Kennan.

— Ces ? Il n'y en a plus qu'un, répondit-il.

Alstair avait encore son regard planté dans celui du Régent lorsqu'il prononça ces mots. Il vit son oncle ciller, et le mécontentement grignoter ses iris. Le ventre d'Alstair se tordit et il regretta immédiatement ces mots.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant