Chapitre 11

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L'horloge du grand hall avait sonné dix coups quand Calliopé s'était glissée, seule, dans les cuisines enténébrées. Elle regrettait d'être partie si tard. Les rues d'Airdehaven, à cette heure, étaient effrayantes. La pluie détrempait les pavés et formait des ruisseaux dans les venelles les plus pentues. La lueur des réverbères peinait à éclairer les flaques et lorsqu'elle arriva en vue du bâtiment de brique rouge, l'ourlet de sa robe était alourdi d'eau.

Elle aurait donné cher pour avoir Phénix à ses côtés. Ou même Alstair et son terrifiant Chevalier. De toute façon, ni l'un ni l'autre n'était présent. Et Phénix avait catégoriquement refusé qu'ils s'y rendent lorsqu'elle avait évoqué le sujet avec lui, et elle était à peu près certaine qu'Alstair aurait eu de fortes objections, lui aussi.

C'était une très mauvaise idée, après tout. Mais elle voulait comprendre ce que Lord Arzhul mijotait. Pourquoi il en avait après Alstair. Pourquoi il s'était trouvé là, sur le seuil de la maison, dans les rayons du soleil couchant. Et puis, Arzhul l'avait invitée, non ?

À l'heure qu'il était, Phénix devait être au palais ; elle espérait qu'il avait trouvé Alstair et qu'ils se portaient tous deux bien. Ce fut sur cette pensée qu'elle agrippa la poignée de la porte de l'imprimerie de Lord Arzhul.

Mais lorsqu'elle essaya de l'actionner, elle lui résista. Évidemment. Aucun Imprimeur sensé ne laisserait ouvert son atelier. Les subtilisations de caractères et de papier étaient fréquentes ; on faisait fondre les uns et on utilisait l'autre soit pour se réchauffer l'hiver, soit pour le vendre au marché noir. Sans parler des vols de manuscrits : ils étaient rares, mais pas impensables. Particulièrement, supposait Calliopé, lorsque l'on était un Imprimeur de l'envergure d'Arzhul.

Néanmoins, ce n'était guère une porte fermée qui arrêterait Calliopé. Elle avait pour elle l'expérience de la porte des cuisines de l'Académie.

Elle laissa son regard errer aux alentours, l'air de rien, mais la ruelle était déserte. Au loin, on entendait des personnes brailler un chant que Calliopé ne connaissait pas, et la pluie résonnait contre les toits avec un bruit métallique. Elle prit une grande inspiration, sentant ses poumons se gorger de l'air âcre et familier qui avait toujours régné sur le quartier des Imprimeurs. Elle crispa ses doigts sur la poignée – non pas que cela fît une différence, mais cela l'aidait à se concentrer.

Ouvre-toi, chuchota-t-elle, sa voix enveloppée de Prose.

Il y eut un bruit aigu.

Lorsqu'elle reporta son attention sur la porte au loquet désormais déverrouillé, elle ne put réfréner le sourire triste qui s'esquissa sur ses lèvres. Si elle ne parvenait pas à devenir autrice, songea-t-elle avec ironie, elle pourrait au moins devenir voleuse. Mais elle chassa bien vite cette idée dérangeante de son esprit. Elle s'accrocherait à son rêve. Rien ne l'empêcherait de l'atteindre.

Elle pénétra dans l'Imprimerie. Aussitôt, les ombres des presses l'accueillirent. Son cœur se serra. Même sans les discerner tout à fait, elle percevait sans mal que les machines étaient différentes de celles qu'utilisait Boréas. Calliopé songea à sa chambre au-dessus de l'imprimerie, aux soirs où Boréas se couchait le ventre vide après lui avoir laissé son dîner, aux nuits où le temps lui était compté et où elle l'entendait disposer en rageant les caractères et faire naître sur le papier les mots des autres. Toute sa trésorerie était passée dans l'achat de presses à vapeur de piètre qualité, et, au bout du compte, elles avaient causé sa perte. Les choses se seraient-elles passées différemment, s'il avait eu de telles technologies à sa disposition ?

Calliopé se figea. La silhouette d'une coursive faisait le tour de l'atelier, permettant l'accès à des pièces – les bureaux des protes et des correcteurs, devina-t-elle. La jeune femme plissa les yeux. Pas de doute possible. C'était une lueur ténue, mais il y avait bien une flamme qui éclairait l'une des salles, à peine visible à travers l'œil-de-bœuf qui perçait le dessus de la porte.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant