Chapitre 5

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Calliopé se présenta au bureau de Lord Phrastos au moment où Egan, l'un de ses camarades en sortait. L'un des plus brillants élèves de leur promotion, avec Alstair et Idalia : Calliopé n'avait nul doute qu'il deviendrait un auteur à l'aune d'Orphen. Un sourire victorieux s'affichait d'ailleurs sur ses lèvres et Calliopé sentit l'appréhension mordre son ventre.

Elle savait pourquoi elle était ici. Si seulement elle avait eu quelques semaines encore pour faire ses preuves... La voix du directeur résonna :

— Ah, mademoiselle. Entrez. Refermez derrière vous.

Calliopé obtempéra.

Le bureau était une pièce tout en longueur, en partie parce que les murs étaient tapissés de massives étagères de bois sombre. Des volumes précieux s'étendaient de chaque côté de l'espace, menant le visiteur – souvent un élève sur le point d'être réprimandé – vers un grand bureau fait du même matériau. Derrière l'imposant fauteuil de cuir dans lequel était installé Lord Phrastos, une fenêtre à croisillons donnait vue sur l'est de la ville.

Calliopé, elle, ne prit pas place dans une des chaises disposées devant l'énorme secrétaire. Elle détestait cette pièce : c'était là qu'on lui avait annoncé le décès de Boréas. Elle se souvenait trop bien de la façon dont elle s'était effondrée là, sur le siège de droite.

Lord Phrastos passa une main dans ses cheveux grisonnants pour les plaquer sur l'arrière de son crâne, et poussa un soupir. Le directeur de l'Académie était un homme trapu, engoncé dans un costume sombre qui aurait pu être élégant s'il ne comprimait pas ses larges épaules et son embonpoint. Il portait toujours invariablement à sa boutonnière une broche figurant un rouleau de papyrus, orné d'une couronne de laurier – les armoiries de l'Académie. Elle étincelait dans la lumière.

— Je ne vous apprends rien : ces prochains mois seront décisifs et chaque note, chaque cours, comptera dans l'attribution de votre spécialisation. Je gage que vous avez déjà réfléchi à celle qui vous conviendrait.

À la fin du trimestre, les élèves se répartiraient en sept spécialités. Il n'y aurait plus de distinction d'âge, tous les étudiants seraient mêlés au sein de leur spécialisation. Un cursus générique accueillait les moins bons éléments – ceux-là pouvaient espérer trouver un emploi comme journaliste, chroniqueur du royaume ou prête-plume. C'était en toute logique celui auquel Calliopé aurait dû se destiner. À l'inverse des élèves qui démontraient des aptitudes particulières pour une spécialisation, et qui étaient orientés vers des cours intensifs de correction – garante du respect des règles des Muses –, ou encore apprendraient les arcanes de l'imprimerie ou les arts de la scène. Une poignée se consacrerait à étudier l'Art. La spécialisation la plus difficile d'accès était sans doute celle à laquelle Alstair était voué : la politique. Et la dernière, celle que chacun convoitait en secret, celle que visait Calliopé...

— Je veux devenir autrice.

Le directeur eut un nouveau soupir. Si seulement elle était passée après un élève moins talentueux qu'Egan, peut-être le directeur aurait-il apporté plus de crédit à son vœu.

— Tout d'abord, fit Lord Phrastos, je tiens à souligner que vous maîtrisez bien mieux les règles des Muses qu'à votre arrivée, et votre vocabulaire s'est nettement amélioré au cours des dernières années. Quand vous ne vous trompez pas dans la versification, vous produisez des résultats satisfaisants.

C'était grâce à Phénix. Il était le seul à croire en son rêve. Son ami lui avait tout appris, soulignant ses erreurs, rectifiant ses vers, lui réexpliquant les notions qu'elle peinait à comprendre. Son savoir était tout aussi vaste, si ce n'était plus, que celui des Académiciens. Elle avait incroyablement progressé à ses côtés et il avait su la guider bien plus que n'importe quel professeur. Mais cela, elle ne pouvait l'avouer au directeur.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant