Ridicule. La robe qu'elle portait.
On venait de frapper à sa porte et elle n'avait guère le temps de se changer. C'était une chose corsetée et bleu pâle, une couleur que Calliopé, d'aussi loin qu'elle se souvenait, n'avait jamais revêtue. La robe, enfouie sous de fins volants, marquait sa taille d'un ruban satiné, avant de tomber jusqu'à ses pieds en épousant son corps. La jeune femme avait l'impression d'être nue. Nue, et horriblement peu à sa place. Calliopé préférait, et de loin, la tenue de l'Académie. On en ôtait ou y rajoutait des jupons au fil des saisons, et la masse confortable de tissus autour de ses jambes cachait ses courbes – leur absence, plutôt.
Elle se trouvait là, détonnant dans cette robe splendide, devant un miroir à psyché doré, dans la villa somptueuse. Elle, l'orpheline d'un Imprimeur qui n'avait plus rien. Elle se sentait si peu à sa place que, pendant une affreuse seconde, elle aurait voulu être quelqu'un d'autre. N'avoir jamais eu ces rêves idiots qui l'avaient poussée à franchir les portes de l'Académie sans savoir qu'il lui restait encore tant à perdre.
Calliopé se détourna du miroir, ouvrit la porte de la chambre d'un mouvement sec. Pour tomber nez à nez avec Alstair.
— Oh. Votre seigneurie.
— Calliopé.
Ses yeux, bleus, intenses, un peu surpris, effleurèrent une fraction de seconde la robe avant de remonter vers son visage.
— Tu es ravissante, dit-il d'un ton égal.
Par les Muses. Bien sûr, il avait sans doute l'habitude de voir de pareilles tenues au palais. Calliopé risqua un coup d'œil vers ses propres vêtements. Ils étaient de très bonne facture, à n'en pas douter, quoiqu'un peu trop grands pour lui. La jeune femme avait le pressentiment que peu importe ce que pouvait mettre Alstair, l'élégance ne le quitterait jamais tout à fait.
— Toi aussi, bredouilla-t-elle.
Avec un sourire, Alstair lui tendit son bras.
— Le majordome m'a dit que nous étions attendus pour dîner.
— Arzhul n'est pas revenu ?
— Pas que je sache. Il faut croire que nous sommes sans surveillance.
Il assortit sa réplique d'un sourire joyeux. Elle pouvait comprendre que cette soudaine solitude grise le prince héritier. Calliopé, elle, peinait à apprécier la situation. Elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour l'Imprimeur, pour Alstair et pour sa propre situation.
Ils descendirent le grand escalier qui menait au rez-de-chaussée. Calliopé s'accrochait un peu plus que de raison au bras du prince. Elle était nerveuse. Ce n'était qu'une robe, ce n'était qu'un dîner comme un autre. Mais voilà. Elle n'avait jamais fait ça. Ce n'était pourtant pas plus terrible que de petit-déjeuner dans le réfectoire de l'Académie avec lui, ou de dévorer des galettes encore chaudes dans la vieille ville.
Ils se glissèrent dans la salle à manger. Aussitôt, le regard d'Alstair glissa sur les gigantesques tableaux qui recouvraient les murs, puis sur les armoiries qui ornaient le manteau de la cheminée.
— Tu as dit qu'Arzhul n'était pas Lord, tout à l'heure, commenta Calliopé.
— Il ne l'est pas. Il ne s'agit que d'un surnom qui lui colle à la peau, seuls les nobles et les membres qui siègent au conseil des guildes, ceux, dans le cas des Imprimeurs, intronisés par Kerran, mon conseiller, ont droit à ce titre.
Calliopé aurait cru qu'un Imprimeur aussi important que lui avait une place de choix parmi la corporation. La guilde ne voyait pas d'un bon œil ses activités, après tout, même si elle avait semblé jusqu'à présent d'une redoutable efficacité pour le dépêtrer des situations peu confortables dans lesquelles son entreprise l'avait conduit ces dernières années.
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Calliopé
FantasyÉlève de l'Académie qui forme les meilleurs auteurs du royaume, Calliopé refuse les règles des Muses : dans un monde où la magie tire son essence des mots, elle est trop à l'étroit dans le carcan des formules lisses et versifiées de l'Académie. Jugé...