Chapitre 24

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Même le ciel était gris. Le soleil avait été englouti par l'hiver naissant. Les pas de Calliopé résonnaient tristement dans les corridors de l'Académie. Elle n'était pas certaine d'avoir adressé la parole à quiconque depuis plusieurs jours. À qui aurait-elle pu parler ? Solitaire sur son banc au fond de la classe, Calliopé laissait les heures glisser. Les cours de stylistique, de grammaire, d'histoire, passaient sur elle comme la pluie sur une vitre, sans laisser la moindre trace. La nuit, lorsqu'elle se réveillait, recroquevillée dans son lit, ses doigts cherchaient par habitude le contact glacé de Phénix ; elle ramenait sa main sous son oreiller et celui-ci était trempé de larmes.

Dans ses cauchemars, les silhouettes du dragon et de Phénix se mêlaient jusqu'à se confondre.

Si Alstair avait dû expliquer à Lord Phrastos ce qu'il s'était passé lors du cours de Lady Ava, le directeur n'avait pas investigué davantage. Il avait simplement décrété que les cours d'art de la scène s'arrêtaient là pour le semestre, et on leur avait octroyé une autre salle de classe. Il y a eu un accident de Prose mineur. Personne n'a été blessé. Heureusement, le Chevalier du prince était là. La presse s'était emparé du sujet, et on s'était passé sous le manteau un exemplaire de La Veillée, le journal d'Arzhul, titrant un ironique : « Retour de flamme pour l'Académie », mais l'agitation était vite retombée.

Calliopé s'arrêta dans la cour. La fontaine produisait une mélodie qui lui parut infernale. Il lui semblait qu'elle lui criait un peu plus chaque seconde sa solitude. C'était là qu'Idalia avait fait de la Prose.

Elle eut beau fouiller les environs, pas la moindre tache d'encre ne lui apparut. Pourtant, quelque chose avait dérapé. Mais quoi ? Elle n'avait pas fait de Prose à ce moment, elle en était certaine. Si. Elle avait fait de la Prose dans le bureau du directeur. Était-ce cela ? La Prose avait glissé de façon si infime... Mais cela avait-il pu dérégler l'ordre des choses ? Cela avait-il pu créer le trou noir qui gisait à présent dans l'imprimerie ? Et le dragon ? Rien de plus étonnant au vu des circonstances, avait dit Ghalard. Le trou noir sur la place avait-il pu les influencer, elle et ses camarades, leur faisant faire de la Prose par inadvertance ?

Calliopé serra les poings.

Si c'était elle – si c'était Phénix – qui créait ces trous noirs... Alors peut-être pouvait-elle les faire disparaître.

Sa décision fut prise en une seconde. Elle tourna les talons et s'enfonça entre les murs froids de l'Académie. Ses bottes claquaient sur les pierres dans un rythme déterminé.

À l'angle d'un couloir, elle eut la désagréable surprise d'entendre résonner une voix familière. Là, au fond du corridor, au creux d'une alcôve. Alstair, Idalia. Ils étaient penchés tous deux sur un lourd volume relié de cuir, aux pages jaunies par les siècles. Calliopé, tandis qu'elle marchait vers eux pour se glisser dans le hall, avait une vue imprenable sur leur complicité. Une longue mèche de cheveux blonds s'échappa de la coiffure d'Idalia et tomba entre eux. Elle la replaça derrière son oreille en riant. Alstair eut un fin sourire, la ligne de ses lèvres se soulevant à peine, mais elle ne put manquer la façon dont leurs corps, si proches, se frôlaient presque.

Le prince se raidit lorsque Calliopé approcha, mais il ne releva pas la tête, il ne lui accorda pas un de ses regards si bleus.

Dans le hall, Calliopé relâcha la respiration qu'elle avait retenue tout ce temps.

La cape blanche de Ghalard agressa sa rétine – il se tenait posté là, suffisamment loin pour conférer à Alstair un peu d'intimité, suffisamment proche pour pouvoir intervenir. Ses yeux sombres étaient rivés sur elle ; sa main sur la garde de son épée – elle en sentait encore le poids au bout de son bras quand elle l'avait traînée dans la salle.

CalliopéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant