Chapitre 17

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Point de vue: Alaric.

Nous avons compris bien trop tard où était Nakoa depuis tout ce temps. En quête de réponses, nous nous sommes rendus dans sa chambre mais elle ne s'y trouvait pas. Personne ne voulait me dire où elle se trouvait mais je compris lorsque les domestiques se précipitèrent dehors.

Nous les rejoignons et constatons avec effroi l'état des gardes. Quelques-uns manquent à l'appel et Nakoa semble également touchée à la jambe. Un air de défaite sur le visage. Je me précipite à son chevet mais elle m'esquive rapidement.

  - Qu'est ce qui s'est passé ?!
  - J'ai demandé l'attaque contre les enchanteresses.
  - Quoi ?! Mais...
  - Pas maintenant Alaric, laisse moi.

Son ton est glacial, elle refuse même qu'on s'occupe de sa blessure. Agnar vient aider les autres soldats et je me mets à faire de même.

  - Vous pouvez me dire ce qui s'est passé ?

Je demande à l'une des femmes présentes.

  - Nous avions trouvé leur cachette, dans la forêt. La reine nous a ordonné d'attaquer et nous avions eu l'avantage pendant un moment. Mais elle a disparu et on s'est vite retrouvé en difficulté. Elles connaissent mieux le lieu que nous et avec les bouchons on ne les entendait pas arriver, nous avons perdu beaucoup d'entre nous...

Mon cœur se serre en l'entendant. Rare était les pertes chez nous jusqu'à maintenant. Je reste silencieux en commençant à soigner les blessures les plus superficielles, laissant aux plus aptes les plaies plus graves. Un silence pesant se fit sentir dans tout le château, même pas un murmure pour combler. Lorsque nous avons enfin terminé, je m'occupe de leur apporter la nourriture et l'eau restante avant de les guider vers les lits pour blessés. Une fois dans le couloir, je sens le regard d'Agnar sur moi.

  - Je sais ce que tu vas dire, elle a complètement perdu pied…
  - Je ne voulais pas en parler mais...en effet.
  - Je ne pensais pas qu'elle le ferait vraiment.
  - Et maintenant il y a eu des morts, il faut qu'on fasse quelque chose.
  - Que veux tu que je fasse ? Elle ne m'écoute pas. Et c'est ta reine.
  - La femme de tout à l'heure t'a dit qu'elle avait disparu, pourquoi se serait-elle éloignée du champ de bataille ?
  - Elle combattait peut-être de son côté, je ne sais pas.

Il semble réfléchir tandis que je soupire en commençant à marcher vers ma chambre. Celui-ci me suit en restant silencieux.

  - Il se fait tard, je vais aller me coucher...
  - Bien sûr, je vais aller veiller sur les soldats.
  - Tu devrais te reposer aussi.
  - Je me sens bien, ça va aller.

Je n'ai pas le cœur à argumenter et acquiesce simplement d'un signe de tête avant de le saluer pour me rendre dans mes appartements. Lorsque je me couche, je ne cesse de repasser chaque moment de ces derniers jours dans ma tête. J'ai un très mauvais pressentiment pour la suite, je me demande ce que feront nos ennemis maintenant que la guerre est déclarée. Et si je perdais Agnar ou Nakoa comme nous avons tant perdu déjà. Toutes ces questions me tourmentent l'esprit, m'empêchant de trouver le sommeil.

Tard dans la nuit, ou plutôt tôt le matin, je me rends vers la forêt où le silence est aussi pesant qu'au château. Je m'assois sur l'herbe du jardin et regarde les bois sombres en écoutant simplement les bruits que produit la nature. Pendant un instant, je perçois une douce lumière s'échapper des bois. Elle est petite et semble accompagnée de ses semblables, je comprends rapidement qu'il s'agit de lucioles. Je n'en avais pas vu depuis un moment, il faut dire que je ne sors pas si souvent à cette heure. Leurs lumières sont si belles à admirer, soudainement je me redresse en restant discret pour ne pas les effrayer et viens prendre mes outils de peinture pour les emmener à l'extérieur. Je voudrais capturer ce moment si précieux pour le retranscrire sur ma toile mais elles semblent toutes s'être volatilisées le temps que je revienne. Je reste longtemps encore, le froid commençant à me faire frissonner pour m'inciter à rentrer. Ce que je finis par faire après un moment, déçu d'avoir manqué une telle occasion. Je range rapidement mes affaires et au lieu de retourner dehors je me retrouve à marcher dans les couloirs du château, me retrouvant devant la porte de la chambre de Nakoa.

J'hésite à toquer, elle doit sûrement dormir mais en voyant de la lumière sous sa porte je devine que ce n'est pas le cas. Je colle discrètement mon oreille au bois et entends ses pleurs à travers celle-ci. Ma main se pose sur la poignée mais une voix qui semble être celle de Faye se met à parler, je ne distingue pas vraiment ce qu'elle dit mais ça me rassure que ma sœur ne soit pas seule en ce moment même. Je finis par me retirer pour les laisser tranquille, elle a sûrement besoin de calme et je ne dois pas être le bienvenu. En l'entendant ainsi je refuse de penser qu'elle puisse être liée à la mort de notre mère, elle porte tellement sur ses épaules depuis petite.

Je me souviens encore, quand j'observais ses leçons pour la relève du royaume. Lorsqu'elle se tenait mal, le professeur n'hésitait pas à frapper les parties de son corps mal tenues avec sa règle. Je trouvais ça si violent pour une enfant si jeune, mais c'était "sa destinée" elle était née pour ça et ne se plaignait jamais. Elle vivait à travers les yeux de notre mère qui lui répétait qu'un jour elle serait la fierté d'Eaduria. Même si elle nous offrait un amour inconditionnel, son éducation n'était pas si affective que ça. Comparé à mon aînée je fus bien dispensé de coups et de morales mais j'étais moi même mit de côté. Quand Nakoa avait ses leçons, ma mère voulait absolument y assister. Mais moi, je n'étais pas si intéressant que ça. Je montrais mes peintures à chaque fois que je pensais avoir fait quelque chose de bien, mais tout ce que j'obtenais comme réponse c'est "Une autre fois, je dois surveiller Nakoa". L'enfant qui vient après l'héritier n'est pas important dans un royaume, nous sommes que des remplaçants, le plan B. De plus, comparé à la rousse je ne dispose d'aucun talent en combat, et je ne battrais personne avec mon art.

Parfois je me demande quelle aurait été notre vie si nous n'avions pas été de sang royal, si grâce à ça notre mère nous aurait accordé une vraie attention, plus douce et aimante. Si Nakoa n'aurait pas eu ce sentiment de devoir tout gérer, d'avoir le poids du monde sur les épaules. Et si moi de mon côté, je me sentirais enfin valide, et non comme une tâche qu'on n'arrive pas à enlever et auquel on s'habitue à la présence.

Eaduria TOME 1 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant