La veuve noire

Chapitre 29

Coucou
La suite....
♥️♥️♥️
———————

Elle vient de sortir de la pièce, je suis incapable de bouger, nue, la bouche ensanglantée, mais je ne craque pas. J'ai accepté mon sort, une façon de laver les péchés de la veuve noire.

— Tu me manques.

Mes yeux se posent sur Liam, dans un coin de la pièce, habillé de son fameux costume sur mesure, je pourrais presque sentir son odeur boisée et masculine. Il ne peut pas être là, je suis seule en compagnie de mes proches morts. Ils me rassurent en attendant que je rende mon dernier souffle.

— Tu n'es pas réelle.
J'entends de nouveau le son de ma voix, enrouée, affaiblie par la faim.

— Je suis aussi réelle que ceux que tu vénères.
— Non, tu ne l'es pas. Va-t' en!

Je l'entends rire. Ce rire qui autrefois me rendait toute chose, aujourd'hui, je le perçois comme une humiliation de plus.

— Regarde-toi! Un déchet de la société.
— Non! Non!
— La veuve noire ne tue que son propre hôte.
— Va t-en! Tu es comme eux!

Son image disparaît, ma respiration se normalise, mes larmes coulent, cette fois, c'est le coup de  grâce. Je me sens périr, quitter mon enveloppe corporelle. Je ne suis plus maîtresse de moi-même. Je ne suis plus rien. Un tas de chair et d'os qu'on brutalise à longueur de journée. Mes larmes redoublent, mes sanglots sont destructeurs. J'ai l'impression de vider mes dernières forces. Cette énergie qui me quitte peu à peu.

— Row, row, row your boat, gently down the stream,
— Merrily, merrily, merrily, merrily, life is but a dream

(Rame, rame, rame dans ton bateau, paisiblement dans le courant,
Joyeusement, joyeusement, joyeusement, la vie n'est qu'un rêve)

— Row, row, row your boat, gently  down the stream.
— If you see a crocodile, don't forget to scream.

( Rame, rame, rame dans ton bateau, paisiblement dans le courant,
Si tu vois un crocodile, n'oublie pas de crier)

Je relâche un cri de douleur, qui résonne dans toute la pièce.

Tous les souvenirs se mélangent dans un désordre chronologique, comme un effet papillon. J'ai l'impression d'avoir vécu plusieurs vies. Et cette comptine que ma mère me chantait  enfant ne quitte plus ma bouche. Comme une façon de rester rattaché à cette vie.

Mon enfance était comme toutes les petites filles rêvent d'avoir, un foyer chaleureux, une mère douce et aimante. Un père souvent absent, mais très affectueux. Le peu de temps qu'il passait avec nous suffisait à rattraper ses longues absences. Il travaillait dans l'import-export, enfin, c'est ce que je croyais. Je m'étais fait à ses absences.

Mon adolescence: enfermée entre quatre murs, j'avais un enseignement à domicile. Il voulait un enseignement de qualité pour sa fille unique. Je l'ai cru, j'y ai cru . C'était une façon de me maintenir dans l'ignorance, de me manipuler à sa guise. Et d'une certaine manière de me protéger du monde extérieur, où des ennemis devaient planifier un triste sort à sa famille.
Pour les mariages, je n'ai pas eu mon mot à dire, à peine annoncé, qu'il allait lancer les faire-part. Des irlandais comme nous, ça devait rapprocher nos familles, et moi dans tout ça? Je restais désespérément seule.

La rencontre de Tyler était magnifique, je me revois derrière ce comptoir, en train de préparer la boisson des clients. Lui, tel un chevalier blanc, se posta devant mon comptoir. Son sourire solaire m'a tout de suite réchauffé le coeur. Il a attendu que mon service se termine pour venir me parler. J'ai trouvé ça tellement romantique. Les jours suivants, nous étions accrochés l'un à l'autre. Les semaines  ont défilé, il souhaitait faire les choses bien, être présenté à mes proches. Il ne me restait que mon père. J'ai d'abord appréhendé la rencontre, mais à mon grand soulagement tout s'est bien passé, trop bien passé. Pourquoi n'ai-je pas compris que tout ça n'était qu'une mascarade de plus?

La porte s'ouvre de nouveau, je ne fais pas attention à elle, elle me parle, mais je n'entends que cette comptine.

— Row, row, row the boat.
— Elle a retrouvé l'usage de la parole.
— Gently down the stream.
— Je te parle, la pétasse.
— Merrily, merrily, merily, life is but a dream.

Elle me saisit par le cou et m'étouffe, je sens ses mains se resserrer, mais je ne ressens plus rien. L'image de ma mère apparaît, souriante, chaleureuse. Elle m'ouvre les bras, je souris. J'en ai plus pour très longtemps. Elle m'attend depuis si longtemps.

— Row,row,row....
Mes yeux se ferment.