Chapitre 46

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Je laisse mon père discuter au téléphone en argot irlandais. De ce que je comprends, il veut me trouver une cachette où je serais à l'abri.
Je m'allonge en tentant de refaire le point sur ces derniers jours. Liam doit-être inquiet. Durant ces derniers mois, il n'a pas cessé de s'ouvrir à moi, d'ouvrir son coeur. Il m'aime, c'est évident, il ne prendrait pas tous ces risques, s'il ne m'aimait pas.
Mes yeux se ferment, avec comme dernière image , Liam et moi dans notre cottage irlandais.

Le matin, j'entends du bruit dans la pièce principale, mon père est en train de préparer le petit-déjeuner. C'est si familier, je repense à ma mère qui se plaignait , quand il traînait dans ses pattes.

— Je tente de refaire quelques plats que ta mère nous cuisinait, je crois que je ne suis pas très doué.
Je souris.

— Je vais t'aider.

Je le rejoins et rattrape les catastrophes culinaires qu'il a commise. On s'installe autour de la table en silence. Je goutte aux plats, c'est presque comme dans mes souvenirs, mais il manque le grain de sel maternel.

— Si tu avais pu changer quelque chose papa, quel serait-elle?
— Te laisser choisir.

Je pose ma fourchette dans mon assiette, un mot si simple à première vue, mais que je n'ai jamais touché de prêt.

— Et toi chérie?
— Mourir à la place de maman.

Il affiche un air perturbé. Pourtant, je l'ai tant imaginé, recevoir cette balle à sa place. Tout serait plus paisible.

— Ce n'est pas ce que ta mère aurait voulu.

Il a raison, ma mère aurait voulu que je vive pour elle, pour la rendre fière. Le reste du repas est silencieux, jusqu'à ce qu'un des hommes  nous rejoigne et monopolise la parole. C'est bien mieux comme ça, j'ai l'impression d'avoir tout dit, j'ai utilisé toutes mes cartouches.

— On s'en va .

Je lève les yeux vers mon père.

— Où?
— Des amis acceptent de nous cacher le temps de se faire oublier.
— Et ensuite ça recommencera. Je veux voir Liam.

Mon père  se tourne vers moi.

— Tu n'aurais jamais dû l'épouser.

Je me relève le coeur meurtri, tout le monde veut décider pour moi. Je rejoins la fenêtre et je fais le vide dans ma tête, au moins pour quelques minutes. J'observe des enfants qui jouent au ballon, je me reconnecte à cette douce réalité, un meilleur avenir. Mon père me sort de mes rêveries, nous devons prendre la route dès que possible. Je le suis en silence.

Trois heures plus tard, nous sommes devant un grand portail dans une ville isolée. Le portail s'ouvre sur une longue allée qui n'en finit pas. Et ce que je vois me trouble, nous sommes dans un monastère. C'est encore pire que je le pensais. On va se cacher et mettre en danger des hommes et des femmes d'église.
La voiture s'arrête devant une porte, elle s'ouvre sur ce qui semble être une soeur.  On sort de la voiture, je suis intimidée, cette situation me gêne, je ne me sens pas à ma place. Mon père rejoint la sœur, je reste en retrait.

— Ma sœur, merci pour tout ce que vous faites.
— C'est cette pauvre enfant?
— Oui, c'est elle.

Tous les regards convergent vers moi, je me sens mise à nue. Drôle de sentiments dans un endroits aussi pieux. Elle nous demande de la suivre, nous traversons de grands couloirs, la bâtisse est impressionnante, elle est restée dans son jus. La sœur s'arrête devant une porte et l'ouvre.

— Ma fille, tu logeras ici, le temps qu'il faut.
— Merci.

C'est le seul mot que je pouvais prononcer, tant mes lèvres tremblent. J'entre dans la pièce exiguë, très spartiate. Elle est composée d'un lit, une armoire et une table de chevet. Mes journées seront longues ici. Elle referme la porte et continue son chemin vers la chambre de mon père.

Je m'assois sur le lit, aussi dur que du roc, et j'éclate sanglots, ma vie va de pis en pis. Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort. Quelqu'un frappe à la porte, une sœur qui doit avoir mon âge entre dans la chambre.

— Bonjour, je suis sœur Marie.
— Et moi, Kristen.
— Je sais que ce n'est pas le grand luxe, mais on s'y accommode.
— D'accord.
— Tu m'accompagnes faire le tour des lieux.
— Si tu veux.
— Avec de l'enthousiasme, ça serait encore plus cool.

Son dernier mot me fait sourire.

La veuve noireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant