L'échalas plante ses coudes pointus sur le comptoir comme si la maison lui appartenait. Ses deux mèches tressées lui encadrent le visage. Si son sourire s'élargit encore, il risque d'en perdre les oreilles. Calyx se recule légèrement. L'impression de mauvaise graine se renforce, assortie d'une pointe d'agacement. Elle en a vu défiler, des gaillards comme lui, persuadés de leur charme irrésistible et de leur humour indétrônable. Tout dans l'ego, rien dans la tête. Elle peut parier qu'il va tenter une plaisanterie vaseuse avant la fin de la conversation.
Elle lance un coup d'œil vers le rideau séparateur : son père et son frère se sont remis à l'ouvrage et la laissent gérer la boutique. Qu'à cela ne tienne ! Elle sait remettre les malotrus à leur place.
— Bien, que puis-je pour vous, messieurs ?
— Ensoleiller ma journée d'un sourire, déclame l'idiot d'un battement de cils.
Calyx roule des yeux. Gagné ! Elle ne pensait pas avoir raison si vite. Sur ses lèvres, le sourire poli rétrécit. L'hypothèse qu'ils puissent être envoyés pour une requête sérieuse s'éloigne.
— Désolée, je crois que l'orage s'annonce. Vous devriez rentrer vous mettre à l'abri avant le déluge.
D'un mouvement de menton, elle désigne l'atelier où les hommes s'affairent à coups de marteau, de soufflet et d'exclamations. Même le plus obtus des indésirables comprendrait le message.
L'Égyptien rit. Ferme-t-il la bouche de temps en temps, celui-là ?
— Ah, j'accepte de risquer quelques gouttes. Mon ami a malheureusement cassé son pendentif, peux-tu le réparer ?
Happé par la main de son comparse, le dénommé Ériphos rejoint le comptoir d'un trébuchement. Il y dépose deux moitiés d'un bijou, brisé.
Calyx penche le nez. Son intérêt refleurit. Elle attrape les morceaux – un scarabée, une paire de bras stylisés –, les inspecte. La cassure franche a suivi la ligne de soudure initiale. Qu'est-ce qui a pu brutaliser le pendentif de la sorte ? Son index épouse la patine du bronze, glisse sur les incrustations de lapis-lazuli des élytres, frotte les fines ciselures. Du beau travail, un ornement de prix. La réparation peut s'avérer complexe pour ne pas gâter les gravures initiales.
— Je vais le mettre de côté, conclut-elle. Mon père s'y essaiera après les jeux. Nous avons beaucoup de commandes à fournir en ce moment.
Le Grec baisse la tête, épaules voûtées. Ses boucles lui taquinent maintenant le bout du nez. L'autre le dévisage avec une grimace embêtée, se gratte le cou, puis revient à la charge, sourire en avant :
— C'est que... mon ami en a besoin pour les jeux, tu vois ? Il chante au concours et peut pas tenir sa cithare sans ses bras, hein.
L'idiot mime les deux bras à angle droit, dressés vers les poutres, à l'image des effigies qui tapissent les temples égyptiens. Il appuie le tout d'un clin d'œil grotesque, comme si elle avait un peu de mal à comprendre toute la subtilité de sa farce.
— Vous ne pouvez pas, je sais pas, juste glisser ça entre deux commandes ?
Il ne sait pas, ça non. Il ne sait sûrement pas grand-chose. Calyx ignore sa plaidoirie pour se concentrer sur le garçon plus discret.
— Est-ce vrai ? Vous participez au concours de chant ?
L'autre relève la tête à l'adresse directe et rabat ses boucles en arrière. Il a de jolis yeux, quand il daigne les montrer. Gris et mélancoliques. Ils évoquent ces criques du lac Maréotis, perdues entre les papyrus par un matin humide. Un regard de poète. Lui, il sait sûrement, même s'il parle peu. Par certains côtés, il lui rappelle un peu Calléas. Discret, touchant.
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Les Flammes de Pharos
FantasyUn festival. Deux royaumes en guerre. Une créature infiltrée depuis le monde des Dieux. Alexandrie, l'écrin des Muses, son phare immuable. Tout le monde grec se presse pour participer aux jeux organisés par le pharaon : l'occasion de briller de prou...