21. Chaque serrure a sa clé (1/2)

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 Ériphos retombe sur le banc. Un caillou délogé rebondi sur les pavés.

Calyx observe les jeux de lune au-dessus de la baie plutôt que la touffe de boucles à ses côtés, mais elle sent qu'elle l'a choqué.

— Pou... Pourquoi ?

Il s'arrête à cette simple interrogation, mais elle entend tout le reste de la question muette : cet après-midi, c'est elle qui a insisté sur cette enquête, lui qui était réticent. Cet après-midi, elle s'enflammait sur le mystère de la salamandre. Cet après-midi, elle avait un frère qui l'attendait chez elle.

Des sensations explosent dans sa tête. La main rêche de l'homme sur sa bouche, son corps pressé contre le sien, les doigts qui se resserrent, l'étouffement, la panique, l'impuissance.

Sa poitrine se contracte. Elle se force à inspirer, une fois, deux fois. Les bandits ont disparu, Zeus seul sait où. La milice ne les a pas rattrapés, trop de monde, trop de retard.

Maintenant, ses yeux la piquent. Elle voudrait juste se lever et partir, retourner à son chagrin, laisser couler les larmes, mais Ériphos a partagé une partie de lui-même avec elle, ce soir. Il a mérité une réponse.

— Mon frère a été enlevé.

Cinq petits mots aussi lourds que des pierres sur sa langue. Elle pensait pouvoir les prononcer, dépouillés de toute émotion. De simples sons, des mouvements de lèvres, la transmission d'une information. Rien d'autre. Quelle erreur ! Les mots véhiculent leur propre douleur.

Elle se raccroche au collier à son cou. Les perles roulent sous sa paume. Une sensation familière, qui chasse les fantômes de doigts sur son cou. Calyx garde la tête obstinément tournée vers le large. L'obélisque de la grand-place perfore la nuit. Le phare brûle, trop lointain. La lune se moque.

Les bandits surgissent, une fois de plus. Leur étau se referme. Patroklès s'effondre. Chaque geste, chaque instant, chaque horreur est resté gravé sur ses prunelles. Elle tremble. Qu'aurait-elle pu faire différemment, qui aurait tout changé ?

Un frottement de vêtements se rapproche. Des doigts lui effleurent l'épaule, se rétractent.

— Je ne savais pas, je suis désolé. Que s'est-il passé ?

Ériphos sonne sincèrement navré. Calyx l'entend dans les inflexions si particulières de sa voix. Elles s'immiscent avec un frisson, déverrouillent ses barrières, plongent au plus profond d'elle-même, là où les mots cessent d'exister. Avant d'avoir abouti à une décision consciente, Calyx s'entend raconter : l'agression, la frayeur, l'intervention de Meidoun. Elle s'exprime d'une voix lisse, vide de sens, comme si elle pouvait ainsi repousser les fantômes éveillés par le récit.

Un échec.

Ils sont là, la cernent, la menacent. Elle remonte le châle sur ses épaules et s'enroule dedans.

Calyx n'avait pas prévu de parler de tout cela. En vérité, elle ne voulait voir personne, nourrir sa peine en solitaire, comme sa mère aux yeux rougis qui ne s'est pas présentée à la table du dîner, comme son père au rictus figé qui a battu le fer sur l'enclume jusqu'à le réduire en pulpe. Quelques notes de musique l'ont tirée de cette couverture sur laquelle elle se tournait et retournait à la poursuite du sommeil – des notes accordées à son humeur. Là encore, assise sur ce banc, elle sent comme le tiraillement de fils invisibles, peut-être ce fameux heka dont parle Ahmasis. Tout semble possible, dans cette journée qui n'en finit pas, même l'inconcevable.

— Tu as de la chance que Meidoun passait par là, relance Ériphos.

De la chance ? Piquée, Calyx se retourne face à son confident improvisé. Un reflet d'yeux brumeux émerge de derrière le rideau bouclé. Il n'y est pour rien dans cette histoire et cherche juste à la réconforter, mais elle attaque, parce que la colère chasse une partie de la peine, parce qu'un coupable vaut mieux que l'épine de laculpabilité, et parce qu'elle déteste les questions sans réponse.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant