31. Comment se mordre les doigts (1/2)

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 — Tiens, prends ça. Garde-la avec toi.

Meidoun hausse les sourcils. Sa mère lui presse une amulette dans les mains, un œil oudjat peint de bleu. Il n'avait encore jamais vu ce porte-bonheur à son cou ni à celui de son père ou de son frère. L'a-t-elle achetée récemment ? Juste pour l'occasion ?

En fils obéissant, il passe la tête dans le cordon de laine tressée. Ouménet approuve du menton, réajuste la position de l'œil sur sa poitrine, entre les côtes saillantes, et lui effleure la joue.

— Puisse Thouéris veiller sur toi !

Une inquiétude assombrit ses prunelles et lui froisse le front, presque plus fripé que l'écheveau de laine qui attend, près du tabouret, sous le rideau orange. Les fils gris ne sont-ils pas plus nombreux dans son chignon ou n'est-ce qu'un reflet du soleil matinal ?

Il voudrait la serrer dans ses bras, lui réitérer sa conviction que tout va bien se passer, qu'elle se fait du souci pour rien, mais elle se détourne d'un pas las. Le regard obstinément baissé, elle attrape le balai de jonc, donne quelques coups superflus devant le four à pain, déplace la cruche de la table à une étagère, écarte un pan de rideau déjà tiré, qui retombe aussitôt en place, soupire.

Meidoun déglutit. Chaque geste inutile serre un nœud dans son ventre.

— Maman ?

— Vas-y, mon fils. Puisque rien ne te fera changer d'avis.

Elle ne tempête plus. La colère est partie depuis longtemps, emportée par le vent de la résignation. La flamme s'est éteinte dans ses prunelles. Il se demande s'il ne préférait pas encore le tonnerre et les éclairs à cette absence.

Il avance d'un pas.

— Tu ne viens pas au stade ?

Il pose la question, mais devine déjà la réponse. Elle s'inscrit dans le dos courbé, dans la barrière du balai, crispé entre les doigts osseux, et même dans le présent qu'elle vient de lui confier. L'œil d'Horus veillera sur lui, mais elle ne viendra pas.

— Non, je ne préfère pas. Trop de souvenirs... douloureux.

La dernière fois qu'Ouménet s'est assise dans l'hippodrome, un rivet mal fixé a sauté, une roue s'est détachée, un char a basculé. Meidoun comprend – presque, avec un effort – après tout, ces images le hantent aussi. Il n'a pas oublié, il n'a juste pas la même manière de conjurer le mauvais sort.

Il sait aussi qu'elle ne changera pas d'avis et que toute argumentation ne servira qu'à raviver une plaie mal refermée. Lui non plus n'a pas changé d'avis. En cela, il est bien le fils de sa mère.

Malgré tout, la déception s'enfonce dans son estomac comme une datte croquée trop goulûment, noyau compris. Il aurait tant voulu la voir rire comme avant, applaudir à sa victoire, retrouver ce sourire si particulier qu'il tente parfois d'imiter – avec bien moins de succès –, celui qui déposait un rayon de miel sur ses chagrins d'enfant. Il aurait aimé la réconcilier avec les courses de chars et la passion qui l'habite, mais les Ptolémaia, le téthrippon, c'était sans doute trop brutal, trop vertigineux d'un coup, il l'admet.

Ouménet a repris son jeu de balai et pousse une boucle laineuse sur la terre battue. Il la rejoint en deux enjambées, écarte la hampe qui menace de l'assommer, lui attrape les mains, les serre de toute sa conviction.

— Je vais gagner cette course. Pour toi, pour papa.

Au dernier mot, sa mère relève enfin la tête. Ses lèvres s'étirent d'un sourire triste, compréhensif – trop compréhensif. Pas celui de ses souvenirs d'un autre temps, plus heureux, où tous les quatre formaient une famille unie, mais le mieux qu'il puisse obtenir, aujourd'hui, dans cette maison où planent deux absences.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant