24. La précision de l'engrenage (1/2)

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 — Là !

Calyx tend le doigt, la gorge plus comprimée que dans un étau. A-t-elle bien vu ? Une silhouette éthérée de centaure vient de passer devant l'embrasure avec un bruit de sabots.

— Ils sont nombreux, si nombreux, souffle Ahmasis. Je les entends, à la frontière des deux mondes. Ils se faufilent par la brèche.

— Et si on mettait les voiles, genre, tout de suite ?

Meidoun donne une poussée dans le dos d'un Ériphos pétrifié. L'aède trébuche en avant, lâche sa syrinx toujours retenue en bandoulière, la fixe – elle – comme si elle détenait la clé de tout. Pourquoi ? Calyx n'a fait qu'effleurer la surface de l'océan occulte rassemblé ici. Elle en sait assez pour avoir envie de hurler à l'idée de ce qui pourrait jaillir des papyrus poussiéreux. Pourtant, le simple regard l'aiguillonne. D'autres dépendent d'elle et de sa connaissance des lieux. Elle ravale sa panique, s'empare des rênes de ses pensées, écarte les questions d'un coup de balai. Il sera toujours temps d'approfondir le ménage plus tard.

— L'escalier, vite !

Elle se précipite, lampe dressée en flambeau, franchit le rideau, marque un temps d'arrêt.

Sans sa récente expérience dans une ville peuplée d'ombres fantomatiques, de hiéroglyphes luminescents et d'animaux doués de parole, Calyx aurait peut-être sombré dans l'hystérie. De partout, des créatures fantastiques s'échappent des rouleaux : sphinx, cerbère, griffon, sirène à queue de poisson, minotaure cornu. Une harpie passe au ras de sa tête dans un criaillement suraigu. Un cyclope déplie sa carcasse au pied des marches.

— Il bloque la sortie ! beugle Meidoun juste derrière.

Peut-être qu'il panique, le hâbleur au joli sourire, monsieur le conducteur de char intrépide ? Avec un étonnement détaché, Calyx se rend compte que son esprit trie, analyse, conclut. Un bouillon d'émotions s'affole, quelque part, près à jaillir, mais elle se garde bien d'en soulever le couvercle. Calme et maîtrise dans tout travail, c'est ce que son père répète.

Il leur faut une issue.

Elle parcourt du regard la rangée de rideaux, certains clos, d'autres entrebâillés. Peuvent-ils s'abriter derrière l'un d'eux ? Les monstres percevront-ils leur présence ?

Dans l'alcôve qui rassemble encore sa pile de parchemins, une hydre prend forme, déploie ses neuf têtes, une à une, et ouvre une mâchoire aiguisée.

— On ne passera jamais ! gémit Ériphos.

Il aurait peut-être dû y penser avant de jouer sa drôle de musique, mais Calyx suppose qu'il n'avait pas conscience de ce qu'il faisait. Dans un miaulement de panique, le chat s'échappe des bras figés d'Ahmasis et file vers le voile à l'opposé de l'escalier.

Par certains côtés, les animaux possèdent une intelligence supérieure à celle des hommes. Pour une fois, Calyx aurait tendance à faire confiance à l'instinct de survie de la bestiole.

— Le chat, suivez le chat !

Ahmasis ne se le fait pas dire deux fois. Calyx s'élance juste derrière, une sorte de crépitement l'accompagne sur son épaule. Elle ne saurait dire si la salamandre s'amuse, s'affole ou dialogue avec ses confrères et elle n'a pas envie d'investiguer la question juste maintenant. Meidoun bondit sur ses talons. Ériphos boitille derrière, trébuche, s'étale.

La cheville en vrac. Elle avait oublié la cheville ! Heureusement qu'ils ne devaient que compulser quelques parchemins, surtout pas courir !

Ahmasis s'enfile déjà sous le pan de tissu derrière la queue du chat. Calyx freine, dérape. Une harpie fond du plafond, serres déployées, avec un cri d'aigle en chasse.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant