9. Comment s'emmêler dans ses promesses (2/2)

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« C'est clair ? »

La question tourbillonne sous son crâne. Tout y est. Le timbre mesquin, le sourire dubitatif, le soupçon de menace.

Meidoun secoue la tête, s'extrait de la fameuse ruelle de la veille et négocie le virage d'une brève inclinaison de torse. Le temps de la balade avec Ériphos, il avait presque réussi à oublier sa rencontre nocturne – presque.

Le cube de brique noire familier se profile, avec son auvent de roseau qui fuit sous les pluies d'hiver, son toit en terrasse où il s'allongeait entre son père et son frère par les chaudes nuits d'été, les rideaux orange aux fenêtres, tissés par les doigts agiles de sa mère.

Il freine, bascule la planche, la rattrape de la main, saute. Des gestes automatiques. La porte est entrouverte sur la brise du soir.

Il l'écarte d'une main.

— Maman ?

Les gonds grincent.

Une tornade a bousculé le cadre familial bien rangé. Les paniers dégorgent leur contenu sur la terre battue. Le four en brique a toussé un nuage de cendres sur la natte tressée où sa mère s'installe pour la cuisine. Le métier à tisser s'est reculé contre le mur, devant le siège renversé. Personne n'est assis dessus, aucun doigt ne noue les fils à l'abandon.

— Maman !

Meidoun se précipite, au bord de la panique. Ou peut-être qu'il chute déjà, sans le savoir. Ses yeux sautent d'une catastrophe à l'autre : une assiette cassée, la laine à même le sol, le rideau entrouvert vers le réduit qui lui sert de chambre. Pour ce qu'il en sait, un taureau a dansé au milieu de la pièce. Qui a fait ça, Paosis ? Est-ce un avertissement ? Un rappel de sa promesse de rapporter l'argent ? Il avait dit deux jours, par la barbe de Bès ! Deux jours. L'autre brute n'est donc pas capable d'attendre ?

Meidoun s'essuie le coin de l'œil, abat un poing sur la table, se fige.

Une courte silhouette s'encadre sur le seuil, un panier vide au bras. La fin d'après-midi sème des fils d'or dans ses cheveux gris. Il ne voit pas son visage, le devine.

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ?

La pointe de reproche le rate complètement. Meidoun s'est déjà élancé. Il referme les bras autour des épaules trop voûtées, plonge le nez dans le cou, inspire un parfum laineux rehaussé d'une touche de lavande. Louée soit la miséricorde d'Isis !

— Maman.

Une main se referme sur son dos. Des doigts chauds. L'étreinte se prolonge. Depuis combien de temps ne s'était-il pas blotti ainsi dans les bras maternels ?

À mesure que son cœur retrouve un rythme normal, il prend conscience qu'il se tient sur le seuil, à la vue de tous les ragots du quartier. Un soupçon de gêne s'invite dans l'embrassade. Il se recule, s'ébouriffe les cheveux. Que doit-il penser du sourire entendu de sa mère ?

— Tu ne m'avais plus accueillie ainsi depuis tes six ans. Tu dois vraiment avoir beaucoup à te faire pardonner. Peux-tu m'expliquer ?

Elle s'avance, pose le panier sur la table. Loin de l'indulgence du soleil, la pénombre revient creuser son front. Un discret soupir s'échappe de ses lèvres.

— Où étais-tu ? dévie-t-il au lieu de répondre à la question – légitime.

— Je portais une commande chez un client. Tu n'étais pas là.

Meidoun grimace, cette fois le piquant ne rate pas sa cible. Ouménet s'engouffre dans la brèche.

— Tu ne m'as pas répondu. Qu'est-il arrivé ici ?

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant