11. Comment avaler de travers (1/2)

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— Je suis occupée, va poser tout ça au fond de la cour, près de l'escalier !

Meidoun enregistre les instructions d'une oscillation de la tête et décoche son fameux sourire craquant. Peine perdue, la responsable en chef du personnel s'est déjà retournée pour houspiller le pauvre gars qui somnole au-dessus de son balai au lieu de lustrer les dalles.

Pour éviter d'écoper d'un coup perdu ou d'un reproche cinglant, il se hâte vers les doubles arcades, encombré du panier qui lui monte jusqu'au menton. Il connaît plutôt bien les lieux. La vieille Nedjémet est une bonne, voire une excellente cliente de sa mère.

La cour intérieure reflète toute l'aisance d'une riche demeure alexandrine. Encadrés des galeries ouvertes du premier étage, quelques palmiers se balancent mollement au-dessus d'un banc de pierre. Une bordure de roses diffuse un parfum discret. Un petit bassin glougloute sous un tapis de nénuphars. Ce n'est pas le moment de s'emmêler les pieds et d'aller visiter les poissons. Meidoun suit les dalles marbrées jusqu'aux marches conduisant aux appartements et dépose sa cargaison avec un grognement. Pas fâché d'être arrivé !

Il se redresse, s'essuie le front et en profite pour couler un œil sur la livraison du jour : plusieurs himations brodés de motifs chatoyants par les doigts minutieux de sa mère, différentes teintes, pour différentes occasions – il ne s'agirait pas d'être aperçu avec toujours le même vêtement ! – ; un grand châle de laine plus épais pour les soirées fraîches ; et même une chlamyde, cette cape courte que les officiers épinglent aux épaules par une fibule. Nedjémet et son fils tiennent manifestement à briller en bonne société.

Meidoun balaie le patio du regard. Personne en vue. Il lorgne le coin d'herbe tendre abrité sous le drap de lin, juste derrière le banc : le cadre idéal pour une petite sieste en ce début d'après-midi. C'est que le soleil tape pire qu'un forgeron sur son enclume ! Il écarte pourtant l'idée d'une grimace. Pas sûr que la vipère de service apprécie l'initiative, dès qu'elle aura terminé de sonner les oreilles du tire-au-flanc.

Son attention s'arrête sur une alcôve peinte en bleu et or, juste sous l'escalier. Elle héberge une représentation du dieu Ptah entre bougies et coupelles parfumées. Peut-être devrait-il en profiter pour glisser une offrande, là aussi ? La veille, de retour des bains, il s'est arrêté à l'autel près du gymnase pour y déposer bière et statuette en respect scrupuleux des instructions de la fille du temple. La formule semble fonctionner : depuis, il n'a plus senti l'étrange présence dans son cou.

Toutefois, nul n'est jamais trop prudent. Meidoun s'enhardit, cueille trois pétales de rose – ni vu ni connu – et les verse dans la coupelle, assortis d'une courte prière. Après tout, Nedjémet est la femme du défunt grand prêtre de Ptah, à Memphis : ce genre de relation compte, aux yeux des Dieux !

Un raclement de gorge le retourne en sursaut.

Le maître des lieux croise les bras sur un torse épilé à faire pâlir Achille d'envie. Meidoun l'a rarement vu porter d'autres vêtements que le traditionnel chendjit – toujours impeccablement plissé –, mais le large gorgerin incrusté de turquoises doit valoir à lui seul plus de talents qu'il ne peut raisonnablement espérer en gagner en portant des ballots toute une vie. Pour toute salutation, Sébercherès, fils de Nedjémet, hausse un sourcil.

Meidoun se relève, essuie mine de rien ses genoux terreux et deplie son sourire imparable.

— Euh, je priais.

Il espère n'avoir enfreint aucune règle tacite de la maisonnée. Ptah peut bien dispenser ses largesses à tout le monde, n'est-ce pas ?

Les yeux sévères le dévisagent. Aucun frémissement ne déverrouille les lèvres charnues. Le colosse connaît-il seulement le principe du sourire ? Il n'en a sans doute pas besoin pour inspirer les autres à une prompte obéissance. Meidoun s'agite, incapable de deviner quelle conclusion s'affiche sous le crâne rasé et son carré de lin.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant