33. Comment suivre les conseils paternels (2/2)

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D'un coup d'œil par-dessus son épaule, Meidoun s'assure qu'il a bien distancé ses poursuivants. Une erreur. Un chaos inattendu le bascule en arrière. Un instant, le ciel pirouette, son cœur s'emballe. Il imagine déjà le rouler-bouler sur la piste, juste sous les sabots adverses, la pulpe qui en résulte. Ses doigts se referment à l'aveugle sur l'arceau de roseau – pur réflexe –, tiennent bon, mais le nœud des rênes – celui-là même qu'il a refusé d'accrocher à sa ceinture – s'échappe de ses paumes poisseuses.

« Toujours une main sur le garde-corps, ne le lâche jamais. »

Meidoun grimace. L'avertissement arrive un peu tard. Les jambes encore tremblantes d'une compréhension rétrospective, il coule un œil sur le désastre : le paquet de rênes tressaute sur la barre du timon reliant la nacelle au joug des chevaux. Heureusement que Tayet les a nouées ensemble ou elles traîneraient dans la poussière, définitivement perdues. Là, il lui reste une chance de les rattraper.

Meidoun redresse le nez.

Un stade avant le virage. Ça peut le faire. Ça doit le faire !

Il embrasse le brassard à son poignet en quête d'un soutien paternel, épargne une pensée fugace pour son modèle, le meilleur des auriges. Une main vissée sur le garde-corps, il se baisse, s'enfile sous l'arceau, tend le bras, les doigts, plus loin, encore un peu. Son cœur cogne pour s'assurer que l'imbécile en charge des opérations est bien conscient de ce qu'il tente. Le sable défile à une vitesse vertigineuse. Les sabots claquent juste sous son nez. Le char tressaute, les rênes aussi. Il y est presque. Son ongle effleure le cuir sans parvenir à l'accrocher. Bras trop court. Le virage approche. C'est fichu.

À moins que...

Pas le temps de réfléchir. De toute façon, il n'est pas doué pour ce genre d'exercice. Meidoun avance un pied sur le timon, bien plus étroit et débridé qu'une planche à roulettes sur des pavés, adresse une prière à l'œil oudjat de sa mère pressé sur sa poitrine...

— Horus, protège-moi !

... et lâche le garde-corps.

Dans un équilibrisme, complètement fou ou incroyablement génial, il se penche, saisit enfin les rênes, recule et referme des doigts émus sur l'arceau.

Tout autour, le public hurle dans une fanfare à rivaliser avec la pompè. Meidoun secoue la tête, écarquille les yeux.

Le virage ! Le mur se rapproche à la vitesse de quatre étalons au galop et, avec lui, la version galette d'un aurige étourdi. Il plonge dans l'habitacle, se relève, écarte les rênes pour enfiler l'épingle à cheveux. Juste à temps ! Le dos baigné de sueur, il parvient à pivoter dans un crissement de roues, évite la culbute et émerge, entier, sur la nouvelle ligne droite. Un soupir dégonfle ses poumons et décrispe ses épaules. Un sourire étourdi frémit sur ses lèvres. Sacré morceau de pilotage !

Meidoun repêche l'amulette d'Horus au fond de sa tunique et l'embrasse avec une pensée émue pour sa mère. Il vaut peut-être mieux qu'elle ne soit pas venue, finalement. Elle n'avait pas besoin d'assister à cet épisode d'un bon sens discutable.

Le temps de se remettre de ses émotions et de retrouver un semblant de sérénité, il aborde déjà le dixième tour. Fini la plaisanterie ! Devant, à peut-être un stade de distance, Séref mène toujours le train, talonné par la nacelle blanche du Nubien. Si les deux auriges s'accrochent ou se gênent, il peut en profiter. Hélas, l'accident espéré ne vient pas des concurrents en tête – trop chevronnés pour une telle erreur –, mais de deux adversaires à la traîne, de l'autre côté de la barrière. Un craquement significatif. Cette fois, Meidoun ne tourne pas la tête ; on ne l'y prendra pas deux fois.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant