14. Comment renifler la queue du lion (2/2)

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Dans le ciel pourpre, les volutes se rassemblent. Un drôle de museau effilé prolonge un corps de chien, plus dense, perdu au-dessus de la bousculade des toits. Un chien de la taille de l'horizon. Meidoun n'a pas vraiment envie de savoir s'il s'agit d'une simple illusion ou d'une magie divine. Loin de lui l'idée de traverser le royaume du Douat tout de suite ! En fait, il aimerait bien qu'on lui indique la sortie.

— La salamandre, elle nous suit ! hurle Calyx, juste sous son oreille.

Le tympan bourdonnant, Meidoun tourne la tête. Le monstre-lézard déploie ses pattes de fumée vivante entre les blocs des maisons. Il ouvre la gueule, souffle un jet orangé à rôtir une dizaine de poulets à la broche – pas sur eux, que Bès les protège ! Le brasier en son cœur s'intensifie, comme attisé par le brusque exercice. Des bulles ardentes éclatent à la surface du maelstrom en lac de feu. Meidoun sent sa mâchoire se décrocher.

Un cahot imprévu le ramène à son pilotage. La terre battue de la rive a disparu sous une couche de sable du désert. Fin, trop fin. Les roues s'enlisent, les chevaux pataugent, renâclent. Meidoun ne contrôle plus rien. Les cris de ses compagnons l'en informent – trop aimables. La nacelle heurte le tronc d'un palmier, planté là juste pour le narguer. Une feuille basse indélicate le cueille en pleine figure, les rênes s'arrachent de ses doigts. Il bascule dans un roulé-boulé pour la seconde fois de la journée.

Dans sa grande miséricorde, l'univers se stabilise. La bouche pleine de sable, Meidoun manifeste sa gratitude d'un gémissement. Il hausse le nez, s'immobilise. Des poils lui chatouillent les narines. Des poils d'un jaune ocre au fumet de fauve. Sans bouger le moindre cil, il suit le serpentin de la queue, remonte l'échine paresseuse, franchit la crinière et s'arrête sur le museau massif. Toute salive a déserté sa bouche. Le lion bâille, dans un étalage de crocs à jalouser un crocodile. La queue s'agite.

Dans un tour d'horizon effaré, Meidoun constate que l'animal n'est pas seul. Toute une meute se rassemble autour d'une lionne de la taille d'un chameau. Assise sur ses pattes arrière, elle gonfle le poitrail telle une reine au milieu de sa cour et dévisage les intrus de ses yeux dorés.

Plus près, une toux étranglée émerge d'un nid de sable. Calyx se secoue, entraînée dans la même culbute. Le char s'est arrêté sous le palmier suivant. Les chevaux piaffent, inconfortables à l'idée de servir d'amuse-gueule à l'ouverture du banquet. Tapi sur la plateforme, un Ériphos échevelé retient la charpente menue de la fille d'Isis.

Le chat échappe aux bras fluets d'un bond souple et dandine de la queue en direction des fauves, comme s'il saluait quelques compères avant le début des festivités. La gamine pousse un cri, veut le suivre, mais l'aède, plus sensé, ne relâche pas son étreinte.

— Ceux-là sont plus gros et plus griffus, tu sais, grince Meidoun entre deux bouchées sableuses.

Le chasseur de rats s'arrête en imitation miniature de leur hôtesse griffue. La lionne agite une oreille, remue le museau et retrousse les babines.

— Vous ne devriez pas être ici.

Meidoun sursaute au feulement, rauque, mais parfaitement intelligible. Après avoir contemplé un lézard de feu, fui une armée d'ombres et croisé un géant désarmé persuadé de pouvoir arrêter la précédente à lui seul, il n'en est plus à une impossibilité près. Toutefois, certains prodiges déstabilisent plus que d'autres.

— Et qu'est-ce donc que « ici » ?

Calyx s'est relevée sur les genoux. Ses perles tintent. Sa voix tremble un peu, son teint est toujours aussi pâle, mais une étincelle se devine dans ses prunelles – une étincelle qui donne envie à Meidoun de la suivre jusque dans la gueule d'une lionne.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant