— Par les couilles de Bès !
Meidoun secoue les rênes, siffle, claque de la langue. Rien n'y fait. La bourrique de gauche souffle des naseaux, frappe du sabot, mais refuse obstinément de galoper. Dans quelle langue doit-il lui expliquer qu'il y a une course en route et qu'il est en train de se ridiculiser ?
Il envisage, presque sérieusement, de découper ce rossard en brochettes et de demander au visiteur niché sous sa tunique de le rôtir à petit feu lorsqu'un mot émerge à la surface de ses pensées avec un pop, un mot tellement stupide qu'il a failli l'oublier.
— Radis ! rugit-il.
Miracle ! L'étalon s'élance, imité par ses trois compères, dans un à-coup qui manque de l'envoyer sur le sable. Meidoun se rattrape d'une main sur le garde-corps, crispe les doigts sur les rênes et relève la tête. Les premiers concurrents abordent déjà l'épingle à cheveux de bout de piste. Il a deux stades de retard ! Bravo pour le début fulgurant...
Les défaitistes pourraient se laisser abattre, Meidoun serre les dents. Rien d'insurmontable !
« Une course se joue sur douze tours, inutile de prendre des risques pour être premier dès le début », souffle une voix dans sa tête.
En parfaite illustration de la consigne paternelle, le paquet de ses adversaires se bouscule aux portes du virage. Les prudents optent pour une courbe large ; d'autres tentent la corde. Deux roues s'accrochent. Le premier char termine contre la barrière dans un choc qui éventre la nacelle. Le second oscille, en percute un troisième ; ils finissent leur course ensemble, contre le mur des gradins, dans une tendre embrassade. Hors-jeu avant même la fin du premier tour !
La poussière retombe à peine sur les hennissements des chevaux et les ruines de fières nacelles quand Meidoun aborde l'obstacle à son tour. Il ralentit, négocie un passage au milieu des débris, s'extrait de la confusion et relance à plein galop. Trois de moins, neuvième position ! Derrière lui, les garçons de piste se précipitent pour dégager la voie avant le prochain tour.
Avec l'obligation de lever le sabot pour éviter l'accident, l'écart s'est creusé. L'attention du public se concentre sur l'autre extrémité de l'hippodrome, ignorant totalement le chariot retardataire. Qu'à cela ne tienne ! Il va leur montrer comment on pilote un char !
Un drôle de sentiment s'empare de sa poitrine. Il est là, sur une nacelle tressautante, dans la poussière et le soleil de l'hippodrome, les spectateurs hurlent leurs encouragements – pas pour lui, mais il s'en moque. Il pilote un char et ce n'est pas un rêve. Ce n'est pas un rêve ! Il a envie de rire et, en même temps, il n'a jamais éprouvé une telle concentration, comme si chaque détail s'inscrivait, ciselé, sur la toile de sa vision, comme si chaque battement de cœur durait un sablier entier, comme si chaque bruit se détachait avec une clarté inouïe.
Meidoun négocie le virage suivant à la perfection – l'avantage d'avoir la piste pour lui seul – et passe en trombe la ligne de tour. Les juges ont basculé le faucon du premier poteau. Plus que onze. Huit adversaires à doubler. Il est le fils de Nebrê, roi de l'hippodrome. Il peut le faire !
À l'épingle suivante, Meidoun relève les yeux pour jauger son retard et les rabaisse aussitôt sous la morsure des rayons.
« Ne regarde pas le soleil, reste concentré sur la piste », sermonne la sagesse paternelle.
Il cligne des paupières pour en chasser les moucherons lumineux, se fustige de sa bêtise, mais il a eu le temps de voir. La distance s'est réduite avec l'avant-dernier concurrent. Son char tangue. L'un des chevaux semble gêné au sabot. Meidoun rejoint bientôt sa traîne de poussière, puis sa nacelle. Ballotté sur la plateforme de cuir, l'aurige drapé de noir lui jette un œil aussi sombre que sa tunique, agite ses rênes. Sans effet. Meidoun le dépasse dans un hululement victorieux en même temps qu'il termine son second tour.
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Les Flammes de Pharos
FantasíaUn festival. Deux royaumes en guerre. Une créature infiltrée depuis le monde des Dieux. Alexandrie, l'écrin des Muses, son phare immuable. Tout le monde grec se presse pour participer aux jeux organisés par le pharaon : l'occasion de briller de prou...