Les douze chars s'alignaient devant leur barrière respective. Juché sur les genoux de sa mère, Meidoun serrait les dents et tendait le cou pour distinguer le visage concentré de son père. À sept ans, c'était la première fois qu'il était autorisé à venir dans les gradins. Samout, lui, avait assisté aux précédents jeux et ne cessait de le rappeler par des commentaires agaçants.
Puis l'arbitre a frappé le disque de bronze. Les portes ont basculé dans un nuage de poussière. Les chevaux se sont élancés. Toute sensation d'agacement envers un grand frère mesquin s'est dissoute dans l'euphorie de la course. Meidoun buvait, fasciné, la puissance des chevaux lancés à plein galop, les auriges cramponnés à leur garde-corps, les heurts et écarts des grandes roues cerclées. Le tonnerre des sabots se perdait dans les hurlements des gradins. Meidoun en avait le vertige. Le vertige et une sensation qu'il n'avait encore jamais éprouvée jusque-là. Une sorte de révélation. La certitude qu'un jour, lui aussi piloterait son char dans l'hippodrome.
Au premier virage, Nebrê, de manière prédictible, était dernier.
C'est alors que l'impossible a commencé. Il a d'abord doublé un, puis deux concurrents. Une malencontreuse collision lui a offert les deux places suivantes. Son char volait sur le sable. Il déviait tantôt à droite, tantôt à gauche, toujours bien placé, comme guidé par un sixième sens, l'œil d'Horus, ou une parfaite connaissance des fluctuations de la course.
Au huitième tour, Meidoun avait déserté les genoux maternels depuis longtemps pour grimper sur la balustrade, au ras du souffle de la course, grisé de vitesse et d'exaltation. À chaque concurrent dépassé, il osait un léger cri de victoire – pas trop fort. Bientôt, la foule reprenait en chœur avec lui. Bientôt, un rugissement encourageait l'audace de l'aurige. Avant la fin, tout l'hippodrome scandait son nom : « Nebrê, Nebrê, Nebrê ! »
— Mais voilà qu'arrive le dernier tournant ! Nebrê est deuxième. Dans la ligne droite, il sera trop tard.
Meidoun halète. Ses oreilles bourdonnent des hurlements du public. D'un roulement de poignet, il agite des rênes imaginaires.
— Alors, il tente la corde, se jouant d'Anubis lui-même ! Ses chevaux s'engouffrent dans l'intérieur du virage. Il manque de basculer, se reprend, relance, et se dégage en tête ! La victoire lui tend les bras.
Meidoun se glisse de côté, saute par-dessus un pichet trouble, sent des doigts froids dans son cou. Qu'est-ce que... ? Son pied atterrit dans une écuelle, dérape ; au même instant, tous les braseros de la pièce s'emballent jusqu'aux poutres d'acacia. Avertissement ou moquerie ? Il bat des mains, donne un coup de reins. Son équilibre légendaire n'est pas au rendez-vous. Il a pris des vacances pour la soirée, semble-t-il. Meidoun bascule de la table et atterrit, providentiellement, dans les bras d'un convive qui passait par là.
Son sauveur-malgré-lui s'écroule sous son poids. Meidoun termine nez à nez avec une paire d'yeux gris ahuris et une toison de boucles châtains. Ses pensées s'extraient de l'hippodrome, du sable, des gradins avec une lenteur engluée.
— Oups, désolé...
Il rassemble ses genoux, ses pieds, ses mains. Rien ne manque à l'appel, parfait. Avec un effort, il retrouve une station verticale, plus adaptée. Le sol n'est pas très stable, mais au moins, pas de casse. Ou bien... ?
L'autre ne s'est pas relevé. Il tâtonne entre les plis de son chiton, cherche autour de lui, fébrile, comme s'il avait perdu quelque chose. Meidoun plisse les yeux pour accommoder. Le gaillard n'est pas bien vieux. Taille courte, nez droit, une vraie tête de statue grecque. Ces cheveux frisés... N'est-ce pas l'aède de tantôt, celui que personne n'écoutait ?
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Les Flammes de Pharos
FantasyUn festival. Deux royaumes en guerre. Une créature infiltrée depuis le monde des Dieux. Alexandrie, l'écrin des Muses, son phare immuable. Tout le monde grec se presse pour participer aux jeux organisés par le pharaon : l'occasion de briller de prou...