11. Comment avaler de travers (2/2)

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Meidoun papillonne des paupières. Les gradins s'effacent dans le silence des années. Les rayons ardents reculent face à la pénombre tamisée. Les pétales sont fanés depuis longtemps. Nedjémet l'observe.

— Oui, je suis son fils, balbutie-t-il en mâchant une autre datte.

— Il courait pour Bilitiché. Il a même gagné pour elle, il y a huit ans. Aujourd'hui, la concubine de Ptolémée s'est choisi un autre aurige. Alors, toi, fils de Nebrê, penses-tu pouvoir m'apporter cette victoire ?

Meidoun hoquette, un obstacle dur se coince dans sa gorge. Le noyau, le foutu noyau ! Une main sur le cou, il tâtonne devant lui, attrape un gobelet sur la table – sans doute pas le sien, il a refusé le vin –, avale une lampée, tousse. L'indésirable ressort dans une gerbe rubis.

Il rattrape sa respiration partie en balade, relève des yeux penauds. Le sourire de Nedjémet s'est-il accentué ?

— Moi ? coasse-t-il.

Les sourcils prolongés d'un trait de fard s'envolent vers les poutres d'acacia.

— Sébercherès m'a dit que tu t'es proposé.

— Euh, oui.

Et comment qu'il s'est proposé ! Plutôt deux fois qu'une ! Mais sans y croire. Nedjémet lui confierait-elle vraiment les rênes d'un attelage tiré par ses meilleurs étalons – à lui, le commis ? Les lèvres carmin ne frémissent d'aucun signe de plaisanterie. Elle gobe le raisin, attendant sa réponse.

Une occasion unique, inespérée. Il doit dire oui. Meidoun ouvre la bouche, la referme, déglutit. Il connaît le pilote de Bilitiché, un certain Séref : un rude adversaire, qui n'en est pas à sa première course. Son estomac se barbouille d'un mélange d'excitation et de doute. Ah, il a fait le fier, il a clamé partout qu'il pouvait piloter, et maintenant, pris au mot, il se rend compte de la différence entre un rêve et la vraie vie. C'est bien joli de conduire un char imaginaire dans une taverne, entre des pichets et des assiettes qui ne risquent pas de vous piétiner ; sur la piste, les auriges côtoient la mort. Il le sait – ô combien il le sait !

Sa mère, aussi, le sait.

Pas de char, pas de bêtise, a-t-il promis. Sûrement, concourir pour une riche Égyptienne aux Ptolémaia ne rentre pas dans la catégorie bêtise ? Meidoun resserre les poings sur des rênes imaginaires. Il ne s'agit plus d'une simple fanfaronnade, tout juste bonne à déclencher des sourires entendus. C'est l'occasion de sa vie ! S'il gagne, il aura assez d'argent pour offrir dix colliers à Ériphos, rembourser Paosis, peut-être payer l'archidicaste pour que Samout revienne des carrières, et sa mère n'aura plus besoin de s'user le dos, les yeux et les mains sur les habits des nobles.

Il doit dire oui.

Il relève la tête, croise le regard de la vieille Nedjémet. Il connaît un peu les ragots, à force de livrer chez elle. Après la mort de son mari, elle est venue s'installer à Alexandrie avec son fils et une poignée de serviteurs. À Memphis, elle brillait en tant qu'épouse du grand prêtre de Ptah. Ici, dans l'ombre du pouvoir, elle n'est plus rien. Il lui faut un nom par elle-même, un exploit pour attirer les regards. Deux écartés de la société, alliés pour rafler une victoire.

Meidoun donne un coup sec du menton.

— Je suis votre homme !

Nedjémet recourbe les lèvres, satisfaite.

— Je n'en attendais pas moins d'un fils de champion.

Il bombe le torse. Un rayon de soleil glissé par la fenêtre étincelle sur la mosaïque, il peut presque imaginer le sable de l'hippodrome sous ses pieds, la couronne de laurier sur son front, les acclamations de la foule – pour lui, cette fois. La gloire, la richesse...

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant