19. Celle qui sait trop ou pas assez (1/2)

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La mer gronde, les galets roulent, le vent siffle. Leurs voix se mélangent. Ahmasis n'arrive pas à saisir ce qu'elles racontent. Ont-elles des conseils pour elle ? Entre les tombeaux des morts, elle a affirmé tout savoir, mieux que la grande prêtresse. Face aux eaux grises, le ressac érode son assurance, vague après vague. Elle n'est encore qu'apprentie, incapable de distinguer le chemin de la déesse parmi tous les récifs. Comment savoir si elle avance dans la bonne direction ?

Elle a rencontré le visiteur, elle a franchi le voile et marché de l'Autre Côté, elle a parlé aux Dieux et, malgré tout, sa démangeaison ne la lâche pas. Les fourmis courent même partout sur sa peau. Bon signe, mauvais signe ?

Tout autour, les navires rentrent, chassés par le déclin du jour, comme des brebis blanches à l'étable. Les pêcheurs déchargent leurs filets, haranguent la foule. Certains lui rappellent Paneb, mais son frère n'est pas là. Il n'est même plus vraiment son frère. Il appartient aux ombres qui hantent le rivage, derrière la mer d'encre, lorsqu'elle se concentre sur son ka.

En sortant de Nécropolis, Ériphos a filé le premier, tête rentrée dans les épaules, comme si Seth hantait son ombre. Calyx a emporté le visiteur. Meidoun a d'abord marché avec elle, mais il est reparti, maintenant. Alors, Ahmasis chemine seule le long des quais, tend l'oreille, ne saisit que des bribes obscures par-dessus le tapage des hommes. Tout est trop ténu, de ce côté du monde. Les voix des Dieux ne portent pas ; les signes se dissimulent. S'est-elle perdue ?

Si le visiteur était resté avec elle, elle pourrait l'observer, suivre les mouvements de sa queue ou percer le message caché de ses taches. Peut-être qu'il lui parlerait, juste pour elle. Il pourrait lui crépiter le nom de celui qu'elle doit guérir ou lui expliquer ce qu'elle a vu, de l'Autre Côté.

Un reflet de possible, selon Sekhmet.

Ahmasis replie les bras autour de son corps. Elle a froid, immobile au bord du quai. Le soleil ne lance plus que des rayons trop étirés, orangés, bientôt rouges. Rê est fatigué de sa course céleste. Cette nuit, il traversera les mondes souterrains pour rejaillir, victorieux, au matin. Un cycle de plus. Partout, la ville bourdonne de son agitation habituelle. Seth pourrait-il vraiment tout bousculer ? Demain, le mois prochain, dans un an, dix ans ? Comment savoir ?

Ahmasis est la fille d'Isis. La déesse l'a sauvée et lui a offert une seconde vie à son service, mais Ahmasis ne sait pas tout. Peut-être devrait-elle se confier à Isétemkheb ? Le jour où elle a ouvert les yeux pour la première fois dans le temple, la grande prêtresse se penchait sur elle. Elle lui a souri. Ahmasis se souvient de ce sourire. Il avait un parfum de bienvenue à la maison, la couleur du soleil après la nuit, la chaleur du feu sur sa peau. Il a dissous la douleur. C'était bon.

Oui, la grande prêtresse l'écoutera. Elle répondra aux questions, effacera les démangeaisons et prendra les décisions. Khémetensen chassera le visiteur, tout rentrera dans l'ordre. Plus de fracture, plus de Seth, plus de peurs.

Ahmasis repart. Méaâ la suit.

Elle remonte la voie majestueuse, se guide sur l'écharpe brumeuse indéfectible du phare et s'engage sur l'heptastade. Le clapot lui souhaite la bienvenue, toujours agité entre les piliers. Une mouette criaille. Les pylônes dorés de soleil du temple d'Isis se dressent fièrement sur l'éperon rocheux, derrière le bosquet d'oliviers. Rien ne les abat. Aucun mal n'y pénètre. Un havre.

Ahmasis ralentit, racle des sandales, s'arrête. Une silhouette se dresse entre elle et sa maison. Son ombre s'allonge jusqu'au parapet, barrant tout passage. Le vent secoue les pans d'une robe fendue et le sabre ceinturé luit d'un reflet ensanglanté. Le nœud tyet se balance au bout de son lacet.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant