20. Des vers soufflés sous les étoiles (2/2)

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 Ériphos trébuche dans la ville endormie sous un fleuve scintillant.

La douleur de sa cheville a décru sur un tiraillement sourd. Il ne s'est pas réveillé dans son lit, mais une brume persiste autour de ses pensées. Elles tâtonnent, incertaines. Des images lui reviennent en boucle, des sensations, des résidus de peurs. Au milieu de la pagaille, une certitude surnage.

Il est en vie.

Sa route continue, semée de pavés inégaux, éclairée tantôt par un brasero, tantôt par un éclat de lune. Aucun gouffre ne s'ouvre sous ses pieds. Son cœur bat fort dans sa poitrine. Il ignore pour combien de temps, mais chérit chaque bouffée d'air nocturne qui gonfle ses poumons : la fragrance d'un olivier solitaire, les effluves plus âpres de la ville et le discret relent poissonneux du port. Les odeurs l'escortent dans son errance ; des compagnes rassurantes par leur familiarité.

Pour le reste, il doit bien l'admettre, il est complètement et irrémédiablement perdu. D'ailleurs, il serait bien incapable d'avouer où il cherche à se rendre. Il se contente d'avancer un pied devant l'autre, de respirer, guidé par un chant inaudible, un ressac. Il pourrait aussi bien fermer les yeux.

Puis, au détour d'un sycomore, sa vision s'éclaircit. Il reconnaît un obélisque en contrebas, le miroir des eaux dominé par la vigie du phare et, sur sa droite, l'appentis désert d'une échoppe. Ériphos secoue ses boucles, effleure la syrinx. Il sait où il se trouve ; il comprend aussi où il se rend.

Là où l'attendent les réponses.

Ériphos remonte la pente d'un pas plus vif. Des pensées cohérentes émergent du brouillard et se renforcent. Quelle heure est-il ? Combien de temps a-t-il erré depuis le coucher du soleil et sa course avec la mort ? Impossible à dire. Il est trop tôt, ou peut-être trop tard.

Ériphos s'arrête devant la porte close de la forge. Tout le monde dort, bien sûr. Les rideaux aux fenêtres ne filtrent aucune lumière. Calyx est-elle déjà partie pour la bibliothèque, selon le plan prévu ?

Il n'ose gratter au battant ou même appeler. Il n'est pas certain non plus de retrouver le chemin du Muséion dans l'obscurité. Son arrivée jusqu'ici tient déjà du miracle.

Il se hisse sur un coin de muret, autant pour soulager ses jambes éreintées que pour réfléchir. Par automatisme, ses doigts se referment sur la syrinx. Les roseaux se posent sur ses lèvres, mus par une volonté propre.

Les premières notes s'élèvent, douces et fragiles, encore timides. Elles interrogent, s'étonnent, se testent. Ériphos ne peut prétendre comprendre ce qui s'est déroulé sur les marches du temple, mais il sait que sa vie vient de changer. Un virage abrupt sur une route qu'il croyait droite. Un élément différent au fond de sa poitrine. Une conscience accrue de ce qui l'entoure. Les étoiles ont-elles toujours brillé aussi fort ou un voile s'est-il arraché de ses yeux ?

Sans un bruit, une ombre se détache du mur. Elle traverse la rue pour se percher près de lui. Proche, sans envahir. Une auditrice.

Ériphos se tortille, brusquement conscient du public ; la note suivante grince, la suivante s'étrangle. Il repose la syrinx sur ses genoux.

— Pardon, je ne voulais pas t'interrompre, souffle Calyx. J'ai reconnu ta manière de jouer.

Ériphos tourne les roseaux entre ses doigts. L'inconfort revient lui chauffer les joues.

— Et moi, je ne voulais pas te réveiller. Désolé.

— Tu ne m'as pas réveillée, je n'arrivais pas à dormir. Et c'était... bouleversant. À la fois triste et magnifique.

Il hausse une épaule, passe une main entre ses boucles dans l'espoir d'y repêcher un semblant de contenance.

— Juste des notes au hasard. Je ne suivais aucune partition. Par moment, ma bouche joue toute seule. Et là, je... je viens de vivre un truc complètement fou.

Les Flammes de PharosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant