Parachutage

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Moi qui voulais du mouvement, me voilà servi ! Nous sommes en attente d'un ravitaillement allié qui devrait nous parvenir par parachutage dans les heures qui viennent. Une poignée de volontaires, dont je fais partie, font le guet dans la zone désignée pour le largage ; un large champ presque plat et déboisé offrant un espace sécurisé pour accueillir les conteners sans les endommager. La géographie des lieux est aisément reconnaissable vue du ciel grâce à la rivière qui serpente en contrebas.

Si nous avons correctement décodé le message reçu plus tôt dans la journée, nous ne devrions pas tarder à entendre le ronronnement d'un avion dans le ciel.

Pour l'heure, nous patientons assis sur un tronc d'arbre coupé qui borde le pâturage afin d'éviter que l'herbe, déjà ruisselante de rosée, ne détrempe le fond de nos pantalons. Nos conversations sont menées à voix basse pour éviter de trahir notre position si par malchance une patrouille allemande venait à s'aventurer dans les parages. Je dois me pencher en avant, autant pour entendre distinctement ce que raconte Pierre que pour apercevoir les visages de mes autres camarades faiblement éclairés par la Lune.

L'attente est longue et nous savons qu'au premier bruit de moteur, c'est une course contre la montre qui s'amorce. De trop nombreux ravitaillements sont tombés entre les mains de l'ennemi ou n'ont pas été largués faute de conditions météo favorables ou en l'absence des signaux en morse. Nous ne pouvons pas nous permettre de manquer celui-là qui devrait nous apporter armes et matériel. Car notre groupe fait peine à voir, nous manquons de tout à commencer par l'essentiel. Aucun de nous n'est équipé de casque, les chaussures de la majorité des Maquisards sont usées jusqu'à la corde, quant à nos fripes, elles sont tellement disparates et élimées que nous ressemblons davantage à un ramassis de pauvres hères qu'à une armée de combattants. Je suis pour ma part venu avec mes habits d'enfant de troupe dont le mérite réside dans leur bonne facture et leur bon entretien. Mais tout le monde n'a pas eu cette chance. Même si nous bénéficions de la solidarité des habitants résidant dans les environs qui n'hésitent pas à partager avec nous le peu qu'ils possèdent. Nous misons donc beaucoup sur le contenu des caisses qui seront parachutées cette nuit. Sans compter que nous recevrons les explosifs nécessaires à la continuité de nos opérations de sabotage.

La nuit est tombée depuis cinq bonnes heures quand un faible grondement se fait entendre au loin. Nos discussions s'éteignent instantanément et nous prêtons tous attentivement l'oreille espérant, sans oser le dire, qu'il s'agisse de la livraison tant espérée. Les secondes s'égrènent et le doute disparaît tandis que le grondement s'amplifie ; il s'agit bien d'un avion ! Un simple échange de regards entre nous suffit à ce que tout le monde se lève de concert, dans un empressement trahissant notre impatience.

— On y va !

Une décharge d'adrénaline me traverse et soudain j'ai la sensation que malgré la fatigue, mon corps retrouve la même vigueur qu'après une bonne nuit de repos. Je me sens d'attaque pour gravir une montagne !

Deux d'entre nous mettent en marche de grosses lampes électriques et les éteignent à intervalles plus ou moins réguliers, pour transmettre le signal convenu en Morse. Il fait nuit noir, la lune est pleine, les conditions sont idéales pour que le pilote puisse apercevoir la zone de largage ainsi que nos signaux.

Je m'approche pour ma part de la charrette à laquelle sont attelés les bœufs prêtés par Yves, l'agriculteur du coin qui a pris l'habitude d'aider le maquis. Les bêtes, à moitié endormies il y a quelques minutes, sont désormais alertes et passablement nerveuses en raison des moteurs qui approchent. Je leur prodigue une caresse tout en leur murmurant des paroles rassurantes, tentant de leur communiquer un apaisement que je suis loin de ressentir.

Les sourcils froncés, un pli soucieux barrant mon front, j'observe l'avion faire un tour puis un autre au-dessus de nous. Qu'est-ce qu'il attend ? De réveiller tous les environs ? Avec le vacarme produit par les moteurs, ce serait un miracle que nous soyons les seuls à l'avoir repéré à l'heure qu'il est... Mes mains se mettent à frotter compulsivement le devant de mon pantalon quand mes camarades s'exclament doucement :

— Là-bas ! Ce ne sont pas des parachutes ?

Je regarde dans la direction indiquée et repère effectivement ce qui ressemble de loin à de petits champignons de couleur sombre qui tanguent curieusement avant de se stabiliser dans leur descente. L'avion s'éloigne progressivement, continuant à déverser sur son chemin une multitude de tubes ressemblant à s'y méprendre à des bombes. En d'autres circonstances nous pourrions avoir peur mais l'étoile peinte sur le flan de l'avion nous assure qu'il s'agit bien d'un avion américain. 

Je soupire de soulagement, m'autorisant à expulser l'air que je retenais jusque-là. Le largage a bien eu lieu et les conteners atterrissent rapidement au sol, parsemant la prairie de toiles kaki sous lesquelles on peut distinguer leur forme cylindrique. Pendant que les Maquisards s'élancent par paire dans le pré pour récupérer la précieuse cargaison, je monte à l'arrière de la charrette pour me tenir prêt à la charger dans les meilleurs délais. Lorsque je réceptionne le premier , je suis surpris par ses dimensions; l'objet mesure la taille d'un homme. Pierre monte me rejoindre dans la remorque et nous saisissons les poignées latérales pour le hisser jusqu'à nous. Je souffle sous l'effort tant le poids est lourd. Chacun de ces tubes pèse au moins trois fois mon poids ! Nous alignons les conteners les uns à côté des autres. Il y en a une vingtaine au bas-mot dont au moins 5 signalés de vert. Ce sont ceux que nous chargeons en priorité. Je n'ai pas tout retenu des informations que l'on m'a communiquées avant l'opération mais je me souviens que le vert signale les cylindres contenant les explosifs et les munitions pour nos prochains sabotages.

Il y en a tant que nous allons devoir faire deux voyages car ni la charrette ni les bœufs ne pourront supporter cette charge. Transpirants et essoufflés par toute l'énergie déployée, nous décidons d'un commun accord d'utiliser une partie des toiles des parachutes pour bâcher la cargaison tandis que nous camouflons avec les toiles restantes les cylindres laissés sur place en attendant de venir les chercher. En silence, nous nous mettons en route pour rejoindre le Maquis. Oubliées la fatigue et la douleur, je n'ai qu'une hâte, celle de rentrer au plus vite pour inventorier ce que nous venons de recevoir. Je me sens aussi excité qu'un enfant au matin de Noël. Un rapide coup d'œil à mes compagnons de bonne fortune me confirme que je ne suis pas le seul. L'euphorie semble avoir gagné notre groupe à la marche enjouée. Si le danger de nous faire prendre sur le chemin du retour n'était pas aussi présent, j'aurais presque envie de fredonner ! 

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant