Le soir-même
Nous avons tous revêtu les vêtements les plus propres que nous ayons pour faire bonne figure. Dans mon cas, une chemise bleue achetée la semaine dernière avec une partie de ma solde, mon sempiternel béret ainsi qu'un pantalon de treillis fourni par la FFI lors de mon entraînement à Toulouse. Me voilà au moins propre, à défaut d'être élégant avec cette tenue passablement assortie. Du reste, je n'essaie même pas de paraître particulièrement à mon avantage. A quoi serviraient tous mes efforts quand il suffit de voir Pierre, qui même attifé comme l'as de pique, parvient tout de même à dégager ce je-ne-sais-quoi dont semble raffoler la gente féminine déjà rassemblée en nombre autour de lui. Un verre de vin chaud à la main, je sirote machinalement ma boisson tout en l'observant régaler son auditoire de l'une de ses histoires truculentes dont il a le secret. C'est un compteur hors-pair, j'ai pu profiter moi-même de ses talents en la matière à de nombreuses occasions. Au vu des expressions tantôt ébahies, tantôt amusées que je vois fleurir sur les visages de ces dames, elles ont l'air de passer un bon moment. Il s'agit des jeunes filles que nous avons invitées un peu plus tôt lors de la cérémonie. Toute trace de la timidité dont elles ont pu faire preuve ce matin semble avoir déserté pour laisser place à des sourires et même à un rire cristallin que j'entends flotter par-dessus le brouhaha des discussions. J'en identifie rapidement la provenance; il s'agit de celui de Simone qui surprend mon regard et me sourit. Mon souffle se raccourcit imperceptiblement devant cette marque d'attention que je m'empresse de lui rendre. Ce petit manège n'échappe pas à Pierre, qui, cherchant l'origine de cette perturbation, m'aperçoit enfin et me fait signe de les rejoindre. J'y vais à pas mesurés, pour me donner une contenance que j'espère toute militaire, et ainsi masquer le trouble que m'inspire Simone. Ce matin elle était charmante, de cette candeur innocence que l'on est en droit d'attendre chez une demoiselle célibataire de bonne famille; mais ce soir, elle est envoutante. Elle a remonté ses boucles blondes avec des épingles, laissant son cou gracile découvert jusqu'à l'encolure de son chemisier. Sa silhouette qui était ce matin couverte par son manteau est désormais visible et terriblement bien mise en valeur par sa jupe évasée, accessoirisée d'une ceinture venant souligner la finesse de sa taille. Mes yeux finissent leur course sur ses chevilles perchées sur une paire de chaussures à petits talons qui finissent de me conquérir tout à fait. A côté d'elle, je me sens gauche et mal assuré, puis je me rappelle ce que Pierre m'a confié à propos des regards appuyés qu'elle m'aurait jetés tout à l'heure et je reprends confiance. Je ne sais pas ce qu'elle me trouve, si tant est que Pierre ait raison, mais je compte bien la faire rire moi-aussi ce soir.
— Mes hommages mes demoiselles, dis-je un tantinet cérémonieux en pinçant légèrement mon béret de la main droite mais souriant néanmoins pour contredire la solennité de mon salut.
— Monsieur, répond Simone en inclinant légèrement la tête, jouant le jeu.
— Doit-on vous appeler par votre grade ? demande Alice.
— Non, dis-je en riant. Il n'y a aucune obligation en dehors du cadre militaire, n'ayez crainte.
— Et si nous souhaitions tout de même l'utiliser, comment faudrait-il vous appeler ? me demande Simone avec un regard inquisiteur.
— J'ai peur de n'être encore qu'un simple Sergent, comme Pierre.
— Oh des sous-officiers, s'exclame Yvette, sincèrement admirative.
— Contrairement à Abel, nous projetons de faire carrière dans l'armée après la fin de la guerre et de rejoindre une école d'officier, se vante Pierre qui ne peut s'empêcher d'entretenir l'étincelle qu'il voit briller dans les yeux d'Yvette.
— Oh vraiment ? répond Simone dont l'intérêt pour nos grades semble grimper.
— Pour ma part, j'aurais dû entrer à Saint Cyr il y a deux mois de ça si je n'avais pas pris le maquis. Ce n'est que partie remise, j'en suis sûr, dis-je d'une voix assurée.
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Marraine de guerre
Storie d'amoreAu cours de la seconde guerre mondiale, un jeune homme prend le maquis et entre dans la résistance. Il s'appelle Adrien. Comme nombre de soldats, il noue une relation épistolaire avec une jeune femme inconnue, sa marraine de guerre. De ces lettres n...