Aux portes du Reich - Partie 2

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Le 16 juillet 1945

Cher filleul,

Je vous écris et pourtant je ferais peut-être mieux de m'en abstenir, car je viens d'apprendre une nouvelle très désagréable pour moi. En trois mots : je suis recalée. J'ai échoué à mon examen et je suis d'autant plus navrée que j'avais de l'espoir, la plupart de mes camarades sont d'ailleurs dans le même cas puisque les deux tiers des élèves n'ont pas été reçus. Enfin, j'ai la grande consolation de n'être pas la seule dans mon malheur, et j'ai l'heureuse perspective de repasser en Octobre, si toutefois il y a une autre session. Et puis le diplôme n'est pas nécessaire pour travailler puisque l'école nous place.

Enfin, je ne suis pas si malheureuse puisque j'ai passé la semaine à La Roche-Bernard, c'est-à-dire en pleine campagne bretonne.

Avez-vous passé un bon 14 juillet ? Ici, il y a eu de forts orages avec de beaux feux et qui n'étaient pas d'artifice ! Il y avait de nombreux bals et j'ai passé une bonne partie de la nuit à danser si bien que j'en suis encore fatiguée. J'ai pourtant dormi 13 heures de suite sans me réveiller ! Aussi, je vous laisse à penser que je me suis faite un peu "mettre en boîte" aujourd'hui.

Je profite de mes vacances pour me promener à la campagne ou bien pour pêcher à la ligne dans les étangs (je dois apprendre à pêcher les grenouilles !). J'aime aussi m'installer dans les prés pour y lire. J'ai lu ainsi dernièrement Madame Bovary.

Je vous quitte car l'on m'attend pour faire un petit tour. Toutes mes excuses pour ce retard, et surtout, ne faites pas comme moi !

A bientôt le plaisir de vous lire,

Sincères amitiés,

Madeleine.

Voilà de bien mauvaises nouvelles. Le choix des mots laisse transparaître un moral pour le moins maussade. La connaissant un peu, cela ne durera pas. L'échec à l'examen n'aura aucune conséquence sur son avenir professionnel, c'est tout ce qui compte. Il est heureux que le diplôme soit optionnel pour exercer. Elle devrait endosser très bientôt sa blouse blanche. Je l'imagine, en train de manipuler des tubes à essais avec un air concentré. Est-ce-qu'elle tire la langue quand elle est appliquée ? Ce serait charmant. L'image me tire un sourire.

Assis à même le sol, adossé au mur de pierre qui soutient encore la maison, Dieu sait comment, je lève mon visage pour profiter pleinement du soleil matinal. Une partie de la toiture a été éventrée par un obus, laissant l'habitation désertée et à la merci des intempéries. Les débris ont été entassés dans ce qu'il reste de l'ancienne pièce de vie. Beaucoup d'habitations ont subi le même sort funeste dans le secteur. La faute à la proximité immédiate de l'Allemagne : nous ne sommes qu'à un kilomètre de la frontière.

— Regardez qui voilà ! dis-je

— On est prêt à partir, tu viens ? me demande Pierre, la main tendue dans ma direction.

— Et comment ! Je manquerais ça pour rien au monde !

— Dommage qu'Abel ne soit pas avec nous.

— Je suis sûr qu'il donnerait cher pour être avec nous aujourd'hui.

— On aura une pensée pour lui quand on posera le pied chez les Boches. Quel idée d'aller s'enterrer dans l'administration !

— Tout le monde n'est pas fait pour s'enrôler dans l'armée. C'est une manière comme une autre d'attendre la quille.

Je comprends son choix. Il a une fiancée qui l'attend et aucune vocation pour l'armée. Comme une grande majorité des maquisards ayant rejoint les FFI, il attend la démobilisation avec impatience. C'est la fin de l'aventure pour eux. Pour Pierre et moi, elle commence tout juste. Nous sommes tous les deux à la tête d'une section, moi au contrôle des véhicules, lui aux douanes, à la frontière. Nous étions si bien habitués à remplir nos missions ensemble que je me surprends à éprouver une pointe de nostalgie devant le changement de nos situations. C'est pour le mieux mais je suis ravi de pouvoir passer mes permissions à parcourir le pays avec lui. La virée allemande prévue aujourd'hui constitue d'ailleurs une première pour moi : jamais je ne suis sorti du territoire français. J'aurais pu rêver plus exotique en matière de voyage à l'étranger mais celui-ci a quand même un goût particulier. Et pas des moindres. Celui de la victoire.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant