Je n'aurais jamais pensé intégrer le corps de l'armée de cette manière. Je n'avais d'ailleurs pas imaginé que le Maquis soit un organe à part entière de l'armée. Force est de constater que ce groupement armé de résistants a tout de l'organe militaire classique. Exercices, corvées, dans une routine bien huilée. Si ce n'est l'absence de confort, je me croirais presque à Billom.
Nous faisons partie des groupes Veny. En pratique, nous ne sommes pas reliés à l'armée régulière mais nous sommes néanmoins encadrés par des militaires de carrières, comme le colonel Jean Vincent, plus connu sous le nom de Colonel Veny, qui a fondé ce mouvement de lutte armée. Je n'ai donc pas de grade puisque je n'étais pas dans les rangs de l'armée avant le début de la guerre. Je compte d'ailleurs bien reprendre mes études une fois la guerre terminée pour intégrer l'école de Saint Cyr et devenir officier. En attendant que cette possibilité me soit rendue, je compte bien mettre à profit cette nouvelle expérience pour me familiariser avec le combat. Ce ne sont pas les occasions qui manqueront.
Nous préparons d'ailleurs une action demain matin à l'aurore pour supporter le débarquement des alliés dont la nouvelle vient de nous parvenir. Nous avons pour objectif de faire un maximum de dégâts sur les installations ferroviaires de Capdenac-Gare, qui se trouve être un centre logistique stratégique pour les Boches. Le détruire les gênera dans leur approvisionnement et freinera leur mobilité vers la Normandie. Plusieurs unités sont mobilisées pour cette opération qui met notre camp en pleine ébullition. L'excitation se mêle à la peur, donnant une ambiance singulière. Les soldats parlent fort, se tapent sur l'épaule, rient pour certains... personne ne tient en place. Moi le premier. Je sens enfin se dégager de ce groupe la camaraderie qui me faisait défaut depuis mon départ de l'école.
Ceux qui me battaient froid depuis mon arrivée se montrent maintenant plus cordiaux avec moi. Si j'osais, je dirais même chaleureux. Ce ne sont pas de mauvais bougres. Pierre s'est finalement révélé être un camarade distrayant, passé la froideur des premiers jours. Je serais d'ailleurs en binôme avec lui pendant l'opération. Notre groupe aura la charge de dynamiter le pont transbordeur. C'est un objectif stratégique car il dessert la rotonde où sont stockées toutes les machines. En le détruisant, nous allons bloquer l'accès à toutes les locomotives qui y sont actuellement parquées.
Puisque je n'ai encore jamais posé de plastic de ma vie, Pierre m'a montré à quelle distance répartir les pains d'explosif ainsi que l'attention particulière à porter à la disposition du fil qui les relie. L'explosion sera déclenchée par l'un de nos camarades, à distance, à l'aide d'un crayon allumeur à retardement. Ce mode opératoire permet une rapidité de mise en place qui sera cruciale demain matin.
Tout en épluchant les pommes de terre avec mon opinel, je passe et repasse dans ma tête les étapes dont j'aurais la charge demain. Je ne suis pas sans savoir que des interférences pourraient survenir à tout moment. D'autres soldats nous couvriront mais nous prendrons tous un risque important. Je ne peux pas empêcher mes pensées de se tourner vers les pires scénarios. Reviendrons-nous tous de cette opération ? L'un de nous peut finir blessé, tué ou prisonnier, nous en sommes tous conscients. Tout en jetant la dernière patate dans la gamelle, je me dis que la dernière option est de loin la pire, car le sort réservé aux prisonniers est peu enviable à la mort elle-même. Perdu dans le fil de mes pensées macabres, je poursuis mes gestes par mécanisme, essuyant consciencieusement la lame de mon couteau sur le tissu de mon pantalon avant de la replier et de glisser le canif dans ma poche d'une main légèrement tremblante. La nervosité me gagne, il faut que je me ressaisisse sinon je vais finir par perdre mes moyens, comme le ferait un lapin figé devant les phares d'une auto, incapable d'échapper au danger qui lui fait face. Je vaut mieux que ça. Secouant la tête pour dissiper mes peurs, je masse légèrement ma nuque pour tenter d'évacuer les tensions qui m'assaillent. Sans grand succès.
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Marraine de guerre
RomanceAu cours de la seconde guerre mondiale, un jeune homme prend le maquis et entre dans la résistance. Il s'appelle Adrien. Comme nombre de soldats, il noue une relation épistolaire avec une jeune femme inconnue, sa marraine de guerre. De ces lettres n...